Marche Vérité et Justice du 20 mars : STOP À L'IMPUNITÉ

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Ce week-end de commémoration des 150 ans de la Commune de Paris était plus que chargé: le 20 mars dernier, partout en France, des marches et rassemblements contre les violences policières, pénitentiaires et judiciaires et le racisme systémique étaient organisés, conjointement à la Marche des Solidarités pour la régularisation des sans-papiers. Le lendemain, une grande manifestation contre l’islamophobie et la loi séparatisme se tenait à Paris, place du Châtelet. [RÉCIT EN IMAGES]

Quelques écharpes tricolores sont présentes dans la foule qui se rassemble avant le début de la marche, ce samedi 20 mars, place Edmond Rostand près du jardin du Luxembourg à Paris; mais surtout près du Sénat, où la loi Sécurité Globale et son fameux article 24 sur l’interdiction de diffusion des images d’opération de police sont discutés. On ne peut s’empêcher de se demander pour quel soutien concret au Parlement par la suite ? Car les exigences sont claires et listées avant le début de la marche.

“Un système qui préfère continuer à cultiver le mensonge, le faux en écriture publique et la fabrique du non lieu”, dira Fatou Dieng au micro. ©LaMeute-Jaya

“Un système qui préfère continuer à cultiver le mensonge, le faux en écriture publique et la fabrique du non lieu”, dira Fatou Dieng au micro. ©LaMeute-Jaya

Les chiffres sont effarants : sur ces 44 dernières années, 746 personnes sont décédées à la suite d’une intervention des forces de l’ordre, dont 78 du fait d’agents hors service (voir cette indispensable base de données mise en place par Bastamag).

En ce jour, l’accent est fait sur toutes les violences et crimes d’État : violences policières, violences pénitentiaires, violences judiciaires et racisme. Car derrière les murs des prisons, le constat est tout aussi grave : “la France a été condamnée à 19 reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en raison de tortures et de traitements inhumains ou dégradants liés aux conditions matérielles de détention, aux manquements aux soins médicaux et aux défaillances dans les secours aux détenus” rappelle-t-on aujourd’hui. “La prison aussi tabasse à mort en bande organisée et tue en silence.”

Graphisme tiré de cette enquête par Bastamag (Ivan du Roy, Ludovic Simbille) consultable ici

Graphisme tiré de cette enquête par Bastamag (Ivan du Roy, Ludovic Simbille) consultable ici

Le mot “impunité” lui aussi est démontré par les chiffres (toujours Bastamag, ci-contre).

Mélanie N’goyé-Gaham, du collectif des Mutilé•es pour l’Exemple et membre aussi du Réseau d'Entraide Vérité et Justice, commence d’abord par restituer l’histoire de cette Journée internationale contre la brutalité policière qui prend ses racines le 15 mars 1997 à Montréal (Canada). Elle l’inscrit également avec la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, célébrée le 21 mars 1960 en mémoire du massacre de Sharpeville (Afrique du Sud), où la police a tué 69 personnes noires, lors d’une manifestation pacifique contre l’apartheid.

Fatou Dieng, du Comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng et membre du Réseau d’Entraide Vérité et Justice – qui rassemble les familles de victimes, mutilé•es et blessé•es présent•es ce jour – porte, elle, son discours sur le déni de Justice et le déni de reconnaissance des victimes par l’Etat en citant notamment les phrases irréelles d’ E.Macron et du ministre de l’Intérieur, G. Darmanin, qui avait osé pousser le vice jusqu’à retourner la violence vécu•es par les victimes et leurs proches envers elleux, tout en niant totalement cette réalité (“quand j’entends le mot violence policière, je m’étouffe"). “Laissez-nous respirer!”, lui répondent aujourd’hui avec force les blessé•es, les mutilé•es, les familles de victimes et leurs soutiens.

Le Reseau d’Entraide Vérité et Justice rassemble le Collectif Vies Volées, les Mutilé.e.s pour l'Exemple, Vérité et Justice pour Lamine Dieng, Asso Mémoire Jawad Zaouiya, Comité Miguel Kameni, Collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye, Justice pour Jérôme, Justice et Vérité pour Allan, Justice pour Ibo, Hommage et Justice pour Zineb Redouane, Jistis pou Klodo, Justice pour Cédric Chouviat, Collectif Vérité et Justice pour Hocine Bouras, Justice pour Angelo, Lumières pour Sabri, Collectif Oliv’Vit’Haut, Geneviève Legay, Soutien à Myriam. Il est soutenu par l’Assemblée des Blessés / Désarmons-les, CLAP33 (Bordeaux), Collectif Cases Rebelles, Le comité Vérité et Justice 31, le Collectif Angles Morts et LaMeutePhoto. Un soulèvement unitaire et fédérateur donc, préparé collègialement.

Fatou Dieng décrit les dégâts des violences policières et de leur négation par l’État :

Nous subissons l'injustice, le mépris, le déshonneur, la déshumanisation, la criminalisation, la douleur physique et psychologique, le manque de considération, l’impossible réinsertion professionnelle ou tout simplement l’impossibilité de mener une vie normale après en avoir tant subi !”

Assa Traore succède à Fatou Dieng au micro pour poursuivre un même discours et lister les revendications :

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  1. Mettre fin aux contrôles d’identité permanents et mettre en place le récépissé qui oblige les agents à justifier ces contrôles.

  2. Supprimer le délit d’outrage et rébellion :pour en finir avec les procédures abusives, le harcèlement quotidien et le « business des outrages ».

  3. Interdire le harcèlement répressif et judiciaire contre les manifestants.

  4. Abroger l’article « permis de tuer » L435-1 de la loi sécurité publique du 28 février 2017 qui assouplit et élargit le cadre de la « légitime défense ».

  5. Interdire les techniques d’étouffement : clé d'étranglement, plaquage ventral et pliage.

  6. Interdire les armes classées armes de guerre (LBD et grenades) et les pistolets électriques, pour la police du quotidien comme lors des manifestations et dans les établissements pénitentiaires.

  7. Interdire les « pare-chocages » et les courses-poursuites pour des délits mineurs.

  8. Supprimer l’usage systématique des gaz et des nasses en maintien de l’ordre.

  9. Fermer les quartiers d’isolement et disciplinaires (QI et QD).

  10. Dissoudre les équipes de matons cagoulés (ELSP et ERIS), responsables de tabassages et impliquées dans les morts « suspectes ».

  11. Installer des caméras dans les véhicules de patrouille.

  12. Créer un organe indépendant pour enquêter sur les plaintes contre les forces de l’ordre et les surveillants pénitentiaires, et pour garantir l’indépendance des expertises scientifiques nécessaires.

  13. Dépayser systématiquement l'instruction des plaintes contre les forces de l’ordre et les surveillants pénitentiaires.

  14. Mettre en place une assistance psychologique systématique pour les victimes et leurs proches et la gratuité des soins nécessaires

  15. Garantir la prise en charge complète, par la Sécurité sociale et les mutuelles, des soins et traitements médicaux nécessaires consécutifs aux violences d’État.

  16. Garantir l’audition par le magistrat instructeur de tous les témoins identifiés, leur remettre une copie de leurs auditions et leur mise sous protection.

  17. Garantir l’accès à tous les enregistrements audios et vidéos disponibles.

  18. Encadrer et engager la responsabilité des médecins intervenant dans des procédures judiciaires.

  19. Contre le dénigrement et les violences faites aux sans-papiers

    • La liberté de circulation et d’installation.

    • La régularisation.

    • La protection automatique, dès leur arrivée, des jeunes étranger·ère·s isolé·e·s.

    • La fermeture des centres de rétention.

    • L’égalité des droits pour tous dans tous les domaines.

    • Le droit de vote des étrangers.

  20. La suspension immédiate des agents mis en cause pour violences ou homicides, et leur radiation définitive s’ils sont condamnés.

  21. La suspension immédiate des agents ayant tenu des propos ou commis des actes racistes, et leur radiation définitive s’ils sont condamnés.

  22. La suppression des propositions de lois Sécurité globale et Séparatisme, ainsi que l’abrogation de toutes les lois liberticides.

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“On a bien affaire à une justice négrophobe, on a affaire à des policiers racistes dans nos quartiers”

Samir Baaloudj (au centre), ancien du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB) et membre du comité pour Adama.

Quand un policier tue un homme noir ou arabe, c'est le non-lieu. Quand un homme noir ou arabe dénonce le déni de justice qui existe depuis 60 ans pour protéger et normaliser les crimes policiers, c'est l'enquête préliminaire auprès du parquet.”

Live du 13’12 contre les violences policières avec Erremsi au micro. ©LaMeute-Jaya

Live du 13’12 contre les violences policières avec Erremsi au micro. ©LaMeute-Jaya

Après un live du 13’12 contre les violences policières rassemblant 33 artistes engagé•es, le camion manœuvre et ouvre le début de la marche. Dans les enceintes, sont émunérés les multiples noms de victimes tuées par les forces de l'ordre et de morts suspectes en prison ; des enregistrements des collectifs et familles qui n’ont pu être présent•e à l’instar de Valérie, maman de Matisse. Sélom et Matisse sont deux adolescents de 20 et 18 ans, décédés en décembre 2017 après avoir été percuté par un train à Lille alors que la police les poursuivait. L’affaire n’ira même pas devant les tribunaux puisque le parquet, après trois ans d’enquête, l’a classée sans suite il y a trois semaines.

Ce samedi 20 mars, les forces de l’ordre sont présentes en surnombre et encadre la marche jusqu’à Bastille, sans broncher face aux discours qui se succèdent. Plusieurs collectifs prennent le micro, tels que Justice pour Jimony Rousseau, Ramata Dieng du collectif Vies Volées, Soutien à Claude Jean Pierre, de Justice pour Olivio Gomes , Justice pour Ibrahima Bah, Justice pour Gaye Camara, Justice pour Adama, Justice pour Babacar Gueye, Justice pour Jawad Zaouiya, Lumières pour Sabri, Justice pour Angelo Garand, Justice pour Wissam El Yamni, l’Assemblée des Blessé•es, Justice pour Jérome Laronze, Justice pour Cedric Chouviat, Justice pour Allan Lambin, Justice pour Maëva Coldeboeuf, collectif Zéro Chlordécone mandaté aussi à prendre la parole au nom des Comités Miguel Kameni et Stéphane Fruteau, collectif des Sans Papiers de Montreuil ou encore Philippe Rajsfus (fils de feu Maurice Rajsfus qui s’est éteint en juin 2020) et Emmanuel Vire du syndicat de journalisme SNJ-CGT au nom de la coordination STOPLOISECURITEGLOBALE. Le Collectif Paris Ayotzinapa, l’envolée ou encore d’autres collectifs n’ont pas pu prendre la parole faute de temps : le couvre-feu exigeait que la manifestation se termine à 17H30.

L’une de ces prises de parole va agiter l’extrême-droite et les syndicats des forces de l’ordre : celle de Samir Baaloudj, largement retweetée sur les réseaux sociaux. En voici une retranscription parcellaire :

Ça fait 40 ans que ça dure. D’ailleurs, en 40 ans, quelle famille a subi ce qu’a subi Assa Traore depuis 2016 ? Il n’y a pas d’équivalent en France. On a bien affaire à une justice négrophobe, on a affaire à des policiers racistes dans nos quartiers; (...) ils ne nous aiment pas, ils ont de droit de vie ou de mort et la Justice leur délivre leurs permis de tuer (…) D’ailleurs, ils sont là. Et il y a un truc qui me fait mal c’est qu’ils puissent marcher à côté de nous de la même manière qu’on leur délivre des permis de tuer. Ces gens-là marchent à côté de nous, comme ça avec le sourire. Il n’y avait pas ça il y a 3/4 ans, ils ne se permettaient pas ces choses là. Montrons leur qu’on est en colère contre la police et la justice! On ne veut plus qu’ils rentrent dans nos quartiers! Parce que des morts, il va y en avoir encore. Il va y en avoir. Et il faut bien se dire qu’en France, il y a un traitement pour les familles noires, pour les familles arabes, et il yen a un autre pour tous les autres. Et ça, nous, on ne l’acceptera jamais, de quiconque. 
— Samir Baaloudj, membre du comité pour Adama et ancien du MIB

Comme pour morbidement concrétiser tout ce qui a été dénoncé lors de ce samedi après-midi, une plainte pour « injure publique envers une administration publique » le vise désormais pour les propos tenus ce jour-là et une vague haineuse d’harcèlement et d’insultes en ligne s’en est suivie (voir cet article d’ACTA). Deux poids, deux mesures. Comme le soulignait une soutien du comité Justice pour Ibo dans l’un de ses posts FB : “Quand un policier tue un homme noir ou arabe, c'est le non-lieu. Quand un homme noir ou arabe dénonce le déni de justice qui existe depuis 60 ans pour protéger et normaliser les crimes policiers, c'est l'enquête préliminaire auprès du parquet.”

“Il va falloir continuer vu ce qui nous attend”

Samir a étayé ses propos auprès du média “Le Courrier de l’Atlas” et explique notamment que lorsqu’il parle de la présence de la police dans les quartiers, il désigne principalement la BAC et la BST, unités de police créées dans les années 90 et fin des années 2000 dans une logique de rentabilité et de recherche du flagrant délit. L‘homme qui précisait auprès de Libération qu’il “ne parlait pas d’Arabes ou de Noirs mais de classes populaires” a confirmé, après la marche le besoin de faire des manifestations unitaires. “Il va falloir continuer au vu de ce qui nous attend.”
Cette Marche contre l’Impunité sera rejointe par la Marche des Solidarités à Paris.

Lorsqu’une femme ose jeter deux œufs depuis son balcon sur la foule, c’est toustes ensemble que nous lui répondons et que d’une voix, d’un même coeur, nous scandons : “Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous!”.

Cette marche était loin d’être une balade sous un jour ensoleillé, comme l’a fait remarquer Assa Traoré. Car à l’heure où nous sommes confiné•es, physiquement séparé•es, parfois retranché•es derrière des écrans, voilà ce que nous retenons de cette Marche : une chaleur, un fort moment de solidarité, une volonté de lutter ensemble, encore et toujours.

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Merci pour votre lecture

La réalisation de ce reportage a nécessité une personne et environ 10h de travail.

- Texte & Photo : Jaya

- Relecture : Mes et Tulyppe

- Mise en page : Jaya

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