Belgique : En pleine grève de la faim, les détenus d'un centre fermé auraient reçu des « injections » contre leur gré

Jeudi 4 mars dernier, 18 détenus au centre fermé de Merksplas, près d'Anvers, ont été écroués après avoir entamé une grève de la faim pour demander leur libération. Certains d'entre eux ont été directement placés au cachot et se seraient vu administrer des « injections » sans en connaître la nature. D'autres détenus affirment avoir été menacés de recevoir ces mêmes « injections » s'ils ne stoppaient pas leur mouvement.

L'ambiance est électrique au centre pour “illégaux” de Merksplas en cette soirée du mercredi 3 mars. Onze détenus se déclarent en grève de la faim et restent debout dans la cour, refusant de quitter l'aile de vie à laquelle ils sont rattachés pour aller dîner au réfectoire. Dans une aile voisine, ce sont quatre autres personnes qui emboîtent le pas. En réaction, la direction du centre décide d'employer la force en faisant arrêter, dès le lendemain matin, les fauteurs de trouble avec le renfort de la police anversoise.

Un recours illégal à la médication forcée ?

« On nous a arrêtés car on a commencé une grève de la faim. C'est ce que les policiers nous ont dit eux-mêmes » raconte Kamel* au bout du fil. Comme huit autres de ses codétenus, il a été enfermé au cachot plus de cinq jours, en isolement quasi-total. Vendredi 5 mars, alors qu'il était encore derrière les barreaux, Kamel a voulu profiter des seules 30 minutes journalières d'accès à son téléphone pour alerter sur la situation : « On n'a toujours pas mangé ni bu, on continue la grève de la faim. Je suis enfermé avec quatre personnes que je connais, le reste je ne sais pas où ils sont ni comment ils vont. ».

D'une voix terne et fatiguée, il poursuit : « Deux personnes, dont une que je connais bien, ont reçu des injections. Les gardiens les ont emmené voir le médecin du centre sans explication, évidemment on ne sait pas ce qu'il y a dedans...». Un témoignage inquiétant, immédiatement relayé par le collectif Getting the Voice Out qui collecte et diffuse régulièrement la parole des détenus des six centres fermés* pour illégaux de Belgique.

C'est qu'entre l'extérieur et les murs de Merksplas, l'opacité semble être devenue la règle. Justine, bruxelloise membre de Getting the Voice Out, évoque des difficultés pour entrer en communication : « Le centre de Merksplas est très éloigné et difficile d'accès comparé aux autres centres fermés de Belgique. Il faut plus de 2h30 pour venir en train de Bruxelles, les détenus y sont donc relativement isolés ». Elle ajoute que le droit à l'utilisation de smartphones par les exilés-détenus est strictement encadré par le personnel : « Ils n'ont pas la possibilité d'avoir un téléphone avec une caméra, seulement des « briques » ne permettant pas de prendre des photos ou de filmer l'intérieur du centre ».

Ardu donc pour les défenseurs des droits des étrangers d'avoir un tableau d'ensemble des pratiques qui ont cours à Merksplas. En aparte, certain.es bénévoles pensent toutefois que ces injections pourraient contenir des nutriments, administrés aux détenus grévistes afin d'éviter toute complication de leur état de santé, et en filigrane, que cette grève de la faim ne s'ébruite davantage. Une autre hypothèse voudrait qu'il s'agisse d'injections du vaccin contre la Covid19, le centre de Merksplas ayant déjà été particulièrement touché par l'épidémie. En décembre dernier, plus de 40 détenus avaient en effet, été testés positifs au Coronavirus, obligeant l'administration du centre à fermer plusieurs de ses divisions. A l'heure actuelle, la composition de ces injections demeure inconnue.

En Belgique, le recours à la médication est encadré par la loi du 22 août 2002, relative aux droits du patient. Elle indique dans l'article 7 que ce dernier a droit à l’obtention de « toutes les informations qui le concernent » de la part du praticien professionnel mais également « de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable » selon l'article 8. Interrogé sur la question, Dominique Ernould, porte-parole de la Direction générale de l'Office des étrangers en charge de la gestion des centres fermés, dément formellement : « Cette information concernant des injections est totalement incorrecte » et assure qu'« aucune injection n'a été administrée à des résidents. ».

Une grève de la faim pour la liberté

En dépit des zones d'ombre qui persistent autour de la prise en charge des détenus grévistes par le personnel médical, d'autres témoignages alarmants sont parvenus aux bénévoles de Getting the Voice Out. Dès le 3 mars au soir, sept courtes vidéos sont publiées sur le site du collectif ; on y voit des détenus, filmés au smartphone, cadrés de manière à ce que leurs visages ne soient pas visibles. Comme Ayoub, enfermé depuis 5 mois, ils dénoncent tant les raisons de leur incarcération que leurs conditions de vie au centre : « Ils m'ont amené à Merksplas de Namur, j'étais en train de faire un footing à 8h du matin. Deux policiers m'ont arrêté car je n'avais pas de masque. (…) Trois heures après, ils m'ont emmené ici. (…) Je deviens fou ici, il n'y a rien de bien.».

Même détresse formulée par Mohamed, détenu depuis 6 mois : « Ils nous ont isolés ici, on ne sait pas jusqu'à quand. On a commencé une grève de la faim il y a deux jours, les gardiens et la directrice s'en foutent. On a essayé de parler avec elle mais elle est toujours occupée. (...) J'ai un ami qui ne peut pas bouger, ça fait presque trois jours qu'il n'a rien mangé et rien bu. ».

Aux alentours de 10h le lendemain, une nouvelle vidéo fait état des arrestations survenues plus tôt dans la matinée : « Ce matin la police est venue, ils ont amené 10 personnes au cachot alors qu'on a rien fait de mal, pas de violence, pas de bagarre avec eux. ». L'homme, resté anonyme, conclu : « Ils ne veulent pas nous donner notre liberté ni relâcher les autres amis. On ne va pas arrêter la grève, jusqu'à la fin. ». Pour ces mises à l'isolement, Dominique Ernould plaide des « raisons de sécurité », nécessaires selon lui car « ces personnes avaient indiqué qu'elles répèteraient de telles actions en vue d'impliquer l'ensemble des résidents du centre ». S'il insiste sur le fait que « les résidents en grève de la faim ne sont pas mis en régime séparé parce qu'ils ne mangent pas », le porte parole du service fédéral précise toutefois qu' « il y a aucune raison de les libérer ».

Demandeurs d'asile, personnes sans-papiers interpellées à l'aéroport, aux frontières ou lors d'arrestations arbitraires, exilés « dublinés » ou « doubles peines »*, la cinquantaine d'hommes détenus administrativement à Merksplas ont tous un point commun ; ils sont en attente d'expulsion. Néanmoins, « en Belgique, la détention n'est légale que s'il il y a possibilité effective de renvoi » comme le rappelle Justine à LaMeute. La majorité des frontières extra-européennes étant fermées, certains exilés sont écroués sur des durées anormalement longues, pouvant aller de 6 mois à un an.

Une situation propice aux tensions que les conditions de vie exacerbent davantage. En avril 2020 déjà, l'organisme public autonome Myria, relevait des problèmes de nourriture avariée au sein du centre. Presqu'un an plus tard, Kamel* déplore l'absence de changement : « Franchement ça ne va pas, personne ne dort, on peut manger seulement des tartines ; il n'y a rien à manger. C'est seulement à midi qu'ils font quelque chose de spécial mais après il n'y a rien ».

Afin de prévenir et sanctionner tout mauvais traitement qui aurait cours en centres fermés, une Commission des plaintes a été instaurée dès 2004. Elle est réservée aux personnes détenues et est, entre autres, chargée de veiller au bon respect de leurs droits fondamentaux mais présente de nombreux dysfonctionnements. Dans le rapport de visite des centres de Merksplas, Vottem et Bruges daté de juillet 2020, Myria informait que nombre de détenus ne connaissent pas la procédure à suivre et « estiment ne pas avoir reçu une aide suffisante de la part du personnel ». L'un des arguments les plus dissuasifs ; le fait de devoir déposer plainte « contre la direction » auprès de cette même direction...

D'après l'Office des étrangers, 3 plaintes ont été reçues depuis juin 2020. L'une pointe le mauvais traitement d'un agent de sécurité sur un détenu, une autre concerne une « fouille corporelle complète » à laquelle un résident a été soumis. Une troisième plainte a trait à une différence de traitement ressentie par les détenus musulmans en raison de leur appartenance religieuse. Toutes ont été rejetées ou jugées irrecevables par la Commission, dont l'efficacité peut légitimement être mise en doute.

Une promiscuité accrue par le contexte sanitaire

Tant de problématiques qui se retrouvent aujourd'hui sapées par la préoccupation majeure de la direction des centres fermés; la lutte contre la propagation du coronavirus. Si des mesures ont été mises en place dès la première phase de confinement, elles semblent encore aujourd'hui irrégulières et insuffisantes. C'est ce qu'a notifié Justine de Getting the Voice Out : « Il y a de nouvelles normes qui changent très souvent concernant les visites que nous pouvons faire des centres, elles sont a priori possibles mais moins fréquentes ». Dans son dernier rapport de visite, Myria conseillait aux centres fermés d’uniformiser les mesures, afin « que les personnes détenues aient les mêmes droits (…) et qu'elles soient traitées de la même manière lorsqu'elles sont dans la même situation. ».

En mars 2020, le SPT (Subcommittee on Prevention of Torture or other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment) émettait un avis stipulant que la population en détention pour des raisons migratoires devait être réduite au plus bas niveau possible. Une recommandation qu'avait à l'époque suivi le centre fermé de Bruges, dont la totalité des détenus avaient été libérés. A Merksplas, pas de libération massive. Les exilés témoignent davantage d'un manque d'accès aux gels hydroalcooliques, de la quasi absence d'usage de gants ou de masques par le personnel. Beaucoup d'entre eux expriment d'ailleurs la crainte d'être contaminés par ce même personnel.

En plus du manque de structures de soin adéquates, l'accès y est compromis pour les détenus malades. Justine raconte à LaMeute : « Il y a eu un cas où un détenu se plaignait de violentes douleurs. Le médecin du centre lui a dit qu'il n'avait rien et s'est opposé à la venue d'un autre médecin. ». D'après les détenus, le personnel du centre aurait plus systématiquement recours à la mise au cachot des personnes infectées qu'à une réelle prise en charge médicale de ceux-ci. Une accusation qui ne manque pas de faire réagir l'Office des étrangers, qui prétend que « les règles de base concernant l'hygiène et la distanciation sociale sont respectées. », que « des équipements pour le lavage et/ou la désinfection des mains sont prévus aux endroits nécessaires » et qu'une « attention particulière est accordée au nettoyage des espaces de vie et des points de contact nécessaire ».

Alors que les visites des centres ont été partiellement rétablies depuis fin mai 2020, les associations de défense des droits des étrangers continuent de dénoncer un manque de transparence sur la question des mesures sanitaires dans les centres et l'accroissement des dérives répressives en leur sein. En cette fin du mois de mars, Dominique Ernould assure qu' « à ce jour, il n'y a plus aucun gréviste de la faim » à Merksplas. Plusieurs détenus ont, quant à eux, été transférés dans différents centres et notamment celui de Vottem.

*Centre pour Illégaux de Bruges (CIB), centre pour Illégaux de Merksplas (CIM), centre pour Illégaux de Vottem (CIV), le centre INAD, le centre de transit 127 et le centre de rapatriement 127bis

*détenus immédiatement placés en centre fermé à leur sortie de prison, souvent sans même en être informés

*Nombre de détenus à Merksplas selon l'Office des étrangers au 17 mars 2020


©LaMeute - Moulinette

IMG_6812.jpg

Merci pour votre lecture

La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 30h de travail.

- Texte : Moulinette

- Relecture :

- Mise en page : Moulinette

Aucun bénéfice n’est tiré de cet article. Vous pouvez toujours nous soutenir via notre Tipeee en cliquant sur le lien ci-dessous.

soutenez lameute