Mobilisations anti-Z et les lendemains qui déchantent

Le premier meeting de campagne du candidat Eric Zemmour, d'abord prévu au Zénith de Paris puis déplacé en Seine-Saint-Denis, s'est déroulé quasi sans encombre. Ce dimanche 5 décembre 2021, les opposant-es à l'idéologie d'extrême-droite espéraient pourtant faire dérailler la machine, dans la continuité des mobilisations antifascistes de ces dernières semaines observées aux quatre coins de France. Des rues parisiennes aux allées goudronnées de Villepinte (93), la grande mobilisation contre l'extrême-droite rêvée n'a pas eu lieu. Éléments d'explication.

Nantes, Marseille et même Genève en Suisse avaient montré la voie. A nous aussi, la déroute du délinquant multirécidiviste qui vise la présidentielle. Le candidat Z avait opté en derniers recours pour une salle au parc des Exposition de Villepinte (93) pour mener son premier meeting électoral : un choix que les militant-es antifascistes et obervateur-trices de la vie politique française avaient analysé comme une fuite, un grain de sable de plus dans “l’épopée” de l’ancien journaliste aux ambitions devenues politiques.

Au lendemain du lancement de son parti (nommé “La Reconquête”, NDLR), force est de constater qu’en dépit des tentatives -nombreuses, audacieuses- le candidat soutenu par le milliardaire Vincent Bolloré et patron du groupe Canal n’a néanmoins pas eu à craindre ses opposant-es franciliens qui étaient éparpillé-es entre Paris et Villepinte.

A Paris, « une manifestation inutile » ?

Ambiance festive lors de la manifestation parisienne. ©LaMeute - Graine

Des drapeaux rouges et noirs, des slogans antifascistes et un meeting annulé – cela aurait pu prendre des airs de petite victoire. C'était d'ailleurs ce à quoi ça devait ressembler. Une petite victoire, dont tout le monde a grandement besoin.

Lorsque les équipes d'Eric Zemmour ont annoncé que le gourou de l'extrême-droite comptait tenir un grand meeting au Zénith de Paris, à la Villette (quartier historiquement ouvrier et ancré à gauche), quel n'avait pas été le tollé. Une bonne partie de la gauche parisienne (64 organisations tout de même) s'était pliée en quatre, à grand coup de compromis et d'égo contenu, pour convenir d'une mobilisation commune visant à empêcher coûte que coûte la tenue du meeting fasciste. On organise d'une part une manifestation à 13h de Barbès au Zénith, et de l'autre, un rassemblement dès midi devant les portes du meeting pour en bloquer l'accès.

Mais patatra, cinq jours avant ledit meeting, coup de théâtre : Zemmour annule sa venue au Zénith (officiellement « parce que la salle est trop petite ») pour le décaler 15km plus loin, au parc des expositions de Villepinte (93). Du côté de la Jeune Garde, qui était à l'origine de la manifestation allant de Barbès à la Villette, c'est vécu comme une victoire. La manifestation parisienne est maintenue, à la surprise de beaucoup. Sur les réseaux sociaux, le mot d’ordre “Go Villepinte” circule en catimini, on pense même que la mobilisation parisienne n’est rien d’autre qu’un subterfuge. 

De fait, il y avait finalement très peu de monde dès 13h autour de la station de métro Barbès : quelques petites centaines de personnes - la pluie et le dispatch à Villepinte n'aidant pas. Tant et si bien qu'on a d'abord cru à un échec cuisant en termes de monde s'étant déplacé.

La manifestation ne s'est élancée qu'aux alentours de 13h30 lorsque la Jeune Garde est arrivée, compacte, battant des mains et entonnant des slogans sous un énorme drapeau siglé. A part en tête du cortège, on a scandé très peu de slogans. L'ambiance était plutôt à la discussion, principalement entre générations, et entre associations parfois très peu radicales - voire carrément discutables (on pense notamment à Touche pas à mon pote...).

A Villepinte on s’est fait défoncer sans soutien pendant qu’à Paris on s’amuse
— un manifestant

C'était somme toute une manifestation très calme, assez festive, diamétralement à l'opposé de la gravité de ce qui se passait à Villepinte au même moment, et dont des camarades affluaient au compte-goutte, souvent abasourdi-es par le contraste entre la répression fascisante de Villepinte et l'aspect festif de la manif' parisienne. « A Villepinte on s'est fait défoncer sans soutien pendant qu'à Paris on s'amuse », nous a-t-on glissé, non sans amertume.

La manifestation s'est achevée comme elle avait commencé : au milieu d'un grand axe routier, avec une très courte intervention de Raphaël Arnault, porte-parole médiatique de la Jeune Garde.

A Villepinte, le bruit des bottes, un silence de plomb

Une trentaine d’interpellation ont eu lieu à Villepinte. ©LaMeute - Tulyppe

Le soir même, l'Action Antifasciste Paris-Banlieue (AFA) publiait un communiqué partagé plusieurs milliers de fois sur les réseaux, fustigeant en somme la manière dont les orgas présentes à Paris avaient abandonné les camarades de Villepinte. L'AFA y estime que « l’action à Villepinte aurait réuni plusieurs milliers de personnes si certaines organisations n’avaient pas tenu à maintenir une manifestation inutile, tant dans son parcours que dans ses objectifs, à une quinzaine de kilomètres du meeting de Zemmour. »

A 30 minutes de Paris, mais à des années lumières des rues haussmanniennes, les manifestant-es de gauche s'étaient donné rendez-vous à midi pétante devant l'entrée du parc des Expositions de Villepinte. Un millier de personnes tout au plus, espérant saboter à l'intérieur, comme à l'extérieur, le meeting du candidat.

A 13h pourtant, le sort du contre-rassemblement était d'ores et déjà scellé; le rapport de force inéquitable. Les forces de l'ordre présentes en surnombre aux abords du parc des Expositions sont positionnées partout. Près des soutiens du candidat qui trépignent pour rentrer dans la salle, endimanchés comme un jour de fête, le buste bien droit, le regard qui ne fléchit pas des bons fils à papa -mais bien obligés tout de même d'entrer en catimini sur les lieux du meeting; en petit groupe sous les halls d'immeuble; en casque blanc chevauchant à la moindre occasion leur moto; en ligne soudée pour disperser toute tentative de rassemblement des contre-manifestant-es.

Plus tôt dans l'après-midi, les membres du groupuscule parisien Les Zouaves ont tenté de s'en prendre aux contre-manifestant-es avant d'être eux-aussi pris en chasse par les gendarmes.

Les manifestant-es ont ainsi déambulé dans un univers de béton, éparpillé-es d'ici et là, toujours en petit groupe de peur d'une énième charge pendant plusieurs heures. Et le silence qui s'installe au fil des minutes qui passent. A Villepinte, les militant-es antifascistes ont essuyé une trentaine d'arrestations et plusieurs blessé-es lors des corps à corps avec les forces de l'ordre dès la première heure. Il est 13h et personne n'ose déjà plus ouvrir la bouche. Et ce silence est la plus grande défaite du jour.

On tente une dernière fois, par principe, de se réunir devant le Parc des Expositions : une charge. Désabusé-es, certain-es retournent sur Paris. D'autres tentent le tout pour le tout : on saccagera le meeting depuis l'intérieur. Iels étaient de toute façon nombreux-ses à avoir pris leur place pour le meeting de d'Eric Zemmour façon fans de K-pop versus Donald Trump pour ridiculiser le candidat face aux sièges vides.

A l’intérieur de la salle du meeting, l’extrême-droite française prend position. Aux catholiques BCBG nostalgique de Napoléon les applaudissements près de la scène, aux skinhead la violence et les agressions de la presse au fond de la salle. Là encore, le rapport de force fut inégal. On déchante une fois de plus.

Gueule de bois : la Jeune Garde aveugle aux critiques

S'il est vrai que la manifestation parisienne à permis à de nombreuses personnes de pouvoir s'exprimer « en sécurité » sur le danger que représente le camp Zemmour, il est très compliqué pour nous de ne pas rejoindre la critique formulée par l'AFA. Disons simplement qu'il y a un temps pour tout, un temps pour s'exprimer, pour festoyer, et un temps pour saboter concrètement les plans de l'extrême-droite. Le temps de l'expression, c'était le 27 novembre 2021, lors de la grande manifestation contre les violences d'Etat et le fascisme dans le Nord de Paris. Il l’était également lors d’une très belle manifestation contre l’extrême-droite dans le centre-ville de Lyon organisée par la Jeune Garde le 23 octobre dernier. Réussite médiatique, l’attitude de certain-es membres de la Jeune Garde était néanmoins déjà pointée du doigt à l’intérieur du cortège.

Dimanche, nos attentes - et les attentes de beaucoup de gens, se formulaient autour de quelque chose de concret, d'effectif, d'immédiat. Quelque chose qui nous faisait sortir de l'impuissance morose dans laquelle les médias bourgeois nous ont plongé-es avec leur petit pantin pétainiste. Beaucoup avaient ressorti pour l’occasion leur vieux matos de manif', qui prenait la poussière depuis la mobilisation contre la loi Sécurité Globale. On attendait une action directe contre la tentative d'organisation de l'extrême-droite, un sursaut de fierté - quelque chose d'aussi beau que ce qui s'était passé plus tôt à Nantes, puis à Marseille, mais aussi à Genève. On espérait que le nouveau souffle porté par la création de la Jeune Garde en 2018 ne s'arrêtait pas aux rues d’un centre-ville et aux portes des studios de Cyril Hanouna.

C'est comme ça que nous comprenons ce que l'AFA entend lorsqu'elle écrit que « le 27 novembre avait été une démonstration de force, tant par le nombre de manifestants présents que par la détermination et l'affirmation collective à lutter contre le processus de fascisation globale », et que « la manifestation à Barbès n'aura été qu'une démonstration de faiblesse, loin des enjeux fondamentaux de la lutte antifasciste contemporaine. »

Nous sommes à ce moment de notre Histoire où l'extrême-droite, non seulement se nourrit, mais surtout se délecte de nos désaccords. Il s'agirait que toutes les parties qui sont actrices du combat antifasciste prennent conscience de leur rôle à jouer dans cette bataille, et que les guerres de chapelle laissent place à une véritable coordination antifasciste, sans étiquette, unitaire, puissante. Le même type de coordination qui a mis le fascisme en déroute dans l'Angleterre des années 1930...

©LaMeute - Graine & Mes

MERCI POUR VOTRE LECTURE


La réalisation de ce reportage a nécessité 4 personnes et environ 11h de travail.

- Photos : Graine, Tulyppe

- Texte : Graine, Mes

- Relecture : JeanneActu, Tulyppe

- Mise en page : Mes

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