1er Mai à Paris / Le 3ème tour a déjà commencé

Manif parmi les manifs, ce dimanche 1er mai était aussi le premier rendez-vous social du second mandat d’Emmanuel Macron à la tête du pays. A Paris, des dizaines de milliers de personnes se sont déplacées, pour la majorité en débordant les syndicats, afin de montrer que les luttes sociales n’ont pas été annihilées par la mascarade électorale dont nous sortons à peine. 

Reportage et pistes de réflexions.

“Faites mieux, merci.”

Ça avait commencé comme ça. Sans doute était-il impossible de mieux résumer le mood. “Faites mieux”. C’était quoi le mieux ? Voter Macron ou s’abstenir - voilà dans quel dilemme éclaté au sol la gauche s’était fourrée à force de ne s’entendre sur rien. La seule façon d’y voir plus clair, c’était de se retrouver toustes ensemble dans la rue, et de faire le point. Et pour cela, il n’y a pas de date plus indiquée, plus réconfortante que le Premier Mai.

Il faisait presque trop chaud sur la place de la République dimanche dernier. Difficile de savoir si c’était le grand soleil qui la surplombait, ou bien à cause de la foule qui grandissait de minute en minute. Il y avait toutes les raisons au monde de prendre la rue ce jour-là. Évidemment, la principale était la honteuse réélection d’Emmanuel Macron, second hold-up du banquier d’affaires. Le genre de nouvelle qui te prend à la gorge, comme le mail qui te rappelle l’échéance de ton crédit. 

Il y avait aussi les 13 millions de voix pour Le Pen – faut-il seulement les commenter ? Jamais l’extrême-droite n’avait été si proche du pouvoir depuis 1945 ; point à la ligne. Et puis, il faudrait aussi parler de la désunion des “partis de gauche”, responsables s’il en faut de l’échec électoral à la présidentielle. Et à tout cela, bien sûr, viennent s’ajouter toutes les rancœurs qui vont avec la pauvreté, la précarité, l’inégalité salariale, l’oppression systémique qui font du 1er Mai ce qu’il est : une journée de lutte.

Il doit être un peu avant 15 heures lorsque le cortège de tête, devant les syndicats, s’élance sur le boulevard Voltaire en direction de Nation. De prime abord, on ne distingue au loin que peu de policiers. La dernière fois qu’un départ de 1er Mai s’était fait sans pression policière, c’était en 2018… En quelques minutes, les murs des premières centaines de mètres se retrouvent couverts de tags ; autant de slogans, de réflexions et de provocations à l’endroit de la bourgeoisie et de la police qui la protège. Puis vient le tour des vitrines des grandes enseignes. Tout vole en éclat sur deux kilomètres : démonstration physique d’une haine envers un capitalisme qui se soucie davantage de la sécurité des biens que de celle des personnes. Alors qu’une agence de la BNP Paribas (banque épinglée par exemple pour ses activités douteuses en régimes dictatoriaux) se fait dépecer, on voit de çà et là des équipes de télévisions s’inquiéter du sort de ces malheureuses vitrines d’honnêtes commerçants.


Petit rappel historique

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Petit rappel historique ·

Il faudrait peut-être ici rappeler que le 1er Mai, ça n’est pas à l’origine un “défilé familial” durant “la fête du Travail”. Non. Croyez-le ou non, mais ça, c’est Philippe Pétain qui invente ce blasphème en 1941. A l’origine, le 1er Mai, c’est la journée internationale des revendications ouvrières. Par exemple, le 1er mai 1906 – et à l’appel de la CGT d’ailleurs – les ouvrier-es ont tout bonnement retourné Paris pour réclamer la journée de huit heures. Surprise : ça a marché. L’historienne et camarade Mathilde Larrère le rappelle dans un excellent thread que nous recommandons. Parenthèses closes


C’est suite aux dégradations sur le boulevard Voltaire que CRS, Gendarmes mobiles, BRAV-M et autres CSI entrent en action, tapant dans tout ce qui bouge, agressant tout ce qui vit, du manifestant à la journaliste, du street-médic aux étals de muguet. De la place Léon Blum – quelle ironie – à celle de la Nation, la police n’aura de cesse de refouler par vagues les manifestant-es dans un étau où la BRAV-M les attend de pied ferme.

Au total à Paris, la police a procédé à 45 interpellations. Rappelons que Marine Le Pen était en tête des intentions de vote dans les forces de maintien de l’ordre.

Vers la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale ?

Ce qui s’est passé au second tour de l’élection présidentielle est en train de profondément remodeler le paysage politique français. C’est une partie d’échecs, et il faut avancer chaque pion intelligemment. La situation est autant critique qu’elle appelle à beaucoup de courage et de possibilités historiques. D’un côté, le bloc fasciste n’a pas été aussi puissant depuis des décennies, s’apprêtant à commettre ses habituelles atrocités, se préparant à enfoncer les portes du pouvoir. De l’autre, comme la nuit appelle le jour, le bloc social n’a plus été aussi resserré depuis autant de temps. D’heure en heure, d’aucuns prennent conscience de la réalité de la menace. Combien d’ami-es connaissons-nous, de collègues, de parents qui se sont mobilisé-es au premier tour alors que tout les en repoussait ? N’avons-nous pas vu les lycées et les facs se mettre en branle, bouillonner de colère pendant près de deux semaines face à l’absurdité du choix qu’on nous proposait ?

Pris en tenaille entre ces deux blocs, le camp macroniste suffoque et ne parvient pas à maintenir une quelconque cohésion - y en avait-il seulement une auparavant.

Face à la responsabilité historique de notre bloc social, des lignes commencent à bouger. Dans la nuit de dimanche à lundi, les écolos et la France Insoumise sont parvenu-es à un accord d’alliance électorale sous la bannière de la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale. Ce mardi, jour anniversaire de l’élection du Front Populaire en 1936, ce sont les communistes qui rejoignent l’alliance, suivi-es sans doute des socialistes, alors que des négociations sont encore en cours avec le NPA.

Les lignes bougent, oui, mais prudence.

L'article L435-1 : un exemple des combats qu'il reste à mener

24h plus tard, nul doute que l'immense espoir qui pèsait la veille sur le leader de cette nouvelle union populaire n'était pas redescendue -bien au contraire. Pour les familles de victimes de violences policières, "il va sans dire que dans ce contexte particulier, nous comptons aussi sur La France Insoumise qui, contrairement à la plupart des partis de gauche, ne s'est pas commis avec ces policiers factieux", tranchaient certaines d'entres elles dans une tribune parue sur le blog de Mediapart.

Lundi 2 mai, pas une trace de Jean-Luc Mélenchon -ou presque. Au rassemblement des policiers, mené place Saint-Michel par les syndicats Alliance et Unsa, la centaine de personnes présente glisse sous leur bras le flambant neuf magazine de l'organe syndical. C'est le candidat insoumis qui a l'honneur de la Une, ainsi que la première place du podium du "police bashing (sic)" décerné par Mad.

A quelques mètres du Palais de Justice de Paris, où se déroule le procès des attentats du 13 novembre 2015, des policiers sont réunis pour dénoncer la mise en examen pour "homicide volontaire" de leur collègue dans l'affaire du Pont-Neuf, qui a couté la vie à deux jeunes hommes et en a blessé un troisième le soir des élections.

Peu importe si l'analyse des angles de tirs semble mettre à mal la thèse de la légitime défense, "le problème de la police, c'est la Justice" tonne la sono entre deux sons de musique pop.

Quelques mètres plus loin, des contre-manifestant-es ont essayé de faire entendre une autre voix. Menée par le collectif Urgence Notre Police Assassine d'Amal Bentounsi dont le frère a été abattu en 2012 et le collectif Vérité pour Souheil El Khalfaoui, mort le 4 août 2021 à Marseille, une cinquantaine de manifestant-es tentent de se rassembler pour dénoncer les violences policières. En vain. 

A peine réunis, les contre-manifestant-es ont été nassé-es par les gendarmes pendant près d'une heure avant d'être verbalisés. Il faut jouer des coudes pour tenter d'apercevoir les pancartes rouges ou s'adresser aux familles qui ont fait le déplacement. "Les syndicats de police ont longtemps menés campagne pour l'élargissement de la légitime défense", glisse, à travers la nasse, la tante de Souheil, Samia El Khalfaoui.

A l'unisson, les familles de victimes dénonçaient en effet  "le chantage de certains policiers sur la Justice", complète Amal Bentounsi, et réclamaient la suppression de l'article L435-1 du Code de la Sécurité intérieure; un texte "flou et fourre-tout" selon les deux jeunes femmes.

En vigueur depuis mars 2017, l'article L435-1 élargit les conditions de l'usage des armes des forces de l'ordre. Ce dernier permet, par exemple, de faire feu après deux sommations sur "des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui". L'article L435-1 a notamment été appliqué quelques semaines plus tard dans le non-lieu rendu dans l'affaire Angelo Garand, tué en 2017 par le GIGN.

A l'issue de la nasse, trois personnes ont été interpellées dont Amal Bentounsi qui après avoir passé plusieurs heures en garde vue a annoncé être convoquée par la Justice. "On s'y attendait. Mais même si on vient de loin, on reviendra à chaque fois", lâche Nadia, venue de Marseille pour Souheil.


Comme nous le rappelle Nadia du collectif Vérité pour Souheil, il ne faudrait pas se laisser griser -aussi légitime que cela puisse paraître- par l’illusion d’une gauche rassemblée, enfin. Ce que nous enseigne 1936, c’est que la seule façon de faire taire les chamailleries enfantines des partis politiques, c’est de les forcer par la rue à appliquer leur programme, sans en changer une virgule, sans attendre davantage, sans céder quoi que ce soit. 

Si cette alliance se concrétise et gagne les législatives, alors il faudra quand même prendre la rue, avec ceci de bien que pour une fois, nous n’aurons plus à lutter CONTRE quelque chose, mais, enfin, POUR ce qui est juste.

MERCI DE VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 6 personnes et environ 2 jours de travail.

- Photos : Corto, Graine, Jeanne Actu, Smoke, Tulyppe

- Texte : Graine, Mes

- Relecture : Mes

- Mise en page : Graine

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