Sélom et Matisse : Trois ans après le drame demeure l'incertitude

Le cortège, mêlé des manifestant.es contre la loi de sécurité globale, d’interluttant.es et de soutiens au collectif pour Sélom et Matisse, s’élance au départ de Porte de Paris ©LaMeute - Moulinette

Le dimanche 13 et samedi 19 décembre avaient lieu à Lille deux marches pour honorer la mémoire de Matisse, 18 ans et Sélom, 20 ans. Le 15 décembre 2017, les jeunes garçons étaient mortellement percutés par un TER alors qu'ils fuyaient la police dans le quartier populaire de Fives. Trois ans plus tard, leurs mères Peggy et Valérie mènent conjointement leur combat pour que lumière et justice soient faites.

Deux femmes, un même combat

Pour sa marche blanche ce dimanche 13 décembre, Valérie a favorisé un petit comité. « Ce n'est pas la quantité qui compte, mais la qualité ! » explique-t-elle à la trentaine de personnes venues braver le froid pour marcher en la mémoire de Matisse. Ancien.nes camarades de classe, ami.es de la famille, proches... Tous.tes ont défilé entre la place de la République et le quartier de Wazemmes, escorté.es par une cinquantaine de CRS et policiers.

Si des proches venu.es soutenir Valérie se disent choqué.es de cette impressionnante présence policière, cette dernière n'hésite pas à les interpeller frontalement : « Quand vous regardez vos enfants, dites-vous bien que personne n'est à l'abri d'une bavure. Peut-être qu'un jour, vous, vous en serez aussi victimes. ».

Sur le parcours, elle sème des noms de victimes de crimes policiers pour qu'ils ne tombent jamais dans l'oubli, mais aussi des citations choisies par ses soins. Tantôt se référant à Angela Davis, tantôt à Jacques Prévert, la mère de Matisse nous ramène à l'universalité de son combat, tout en n'oubliant pas de rappeler que l'impunité policière est une tradition bien française. Elle s'arrête un instant sur les propos tenus par Emmanuel Macron sur l'affaire Michel Zecler, au micro de Brut : « Ceux (NDLR les policiers) qui ont un comportement qui n'est pas à la hauteur de cet engagement, c'est encore plus grave car il faut tout de suite y répondre, identifier, sanctionner soit de la manière disciplinaire, soit par la justice. ».

Valérie répond au président : « Monsieur Macron, (…) si vous avez tenu ces paroles le 4 décembre, cela fait trois ans que j'attends que les quatre policiers qui ont mené mon fils à la mort soit, comme vous dites, jugés et condamnés. Cela fait trois ans que j'attends de les voir dans un tribunal. ».

Une semaine plus tard, samedi 19 décembre, le collectif Sélom et Matisse, dont Peggy la mère de Sélom, a pris la tête du cortège contre la loi de sécurité globale, qui a rassemblé plus de 800 personnes dans les rues de Lille. Il s'agit cette fois d'une marche noire, « pour montrer notre colère noire », avec ballons et fumigènes de la même couleur. Famille, ami.es et soutiens se sont retrouvé.es derrière la banderole du collectif sur laquelle on peut lire : « Hier Zyed et Bouna ! Aujourd'hui Sélom et Matisse ! ». Une autre immense banderole est déployée avec l'inscription : «Stop à l'impunité policière», elle est tenue par des membres du collectif pour Lamine Dieng venus pour l’occasion.

Fatou Dieng, la sœur de Lamine tué en 2007 dans un fourgon de police à Paris, prend la parole au terme de la manifestation : «Il est inacceptable que, dans un État soit-disant de droit, des personnes se fassent tuer, massacrer ! ». Elle évoque le récent non-lieu annoncé pour le meurtre de Gaye Camara, abattu de 8 balles dans la tête par des agents de la BAC en janvier 2018 à Epinay sur Seine. Même décision quant à l'affaire Shaoyao Liu, un père de famille tué par des policiers de la BAC, à son domicile en mars 2017. Le 16 décembre dernier, le procureur de Marseille a requis un autre non-lieu pour les policiers qui avaient fracassé le crâne de Maria, en marge d'une manifestation de Gilets Jaunes le 8 décembre 2018.

Fatou Dieng et Peggy Lereste à la fin de la manifestation, place de la République ©LaMeute - Moulinette

En dépit de l'impunité qui règne, Fatou Dieng conseille les victimes de violences policières à continuer de lutter : « J'encourage toutes les familles, toutes les victimes, tous les blessés, à porter plainte, à dénoncer les violences, le sexisme, le racisme, le meurtre au sein de la police ! ». En un puissant message d'espoir, elle rappelle la décision de la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui a fait reconnaître, en juin 2020, la responsabilité de l’État français dans le meurtre de son frère.

De nombreuses zones d'ombre

Comme l'ont dénoncé les mères durant leurs marches, l'enquête judiciaire piétine. Les récentes investigations de Yann Lévy et Tristan Goldbronn pour Radio Parleur en témoignent, de nombreux éléments du dossier restent à ce jour inexpliqués. Le soir du drame, deux voitures de police étaient bien présentes dans le périmètre, pourtant il n'existe aucune trace d'un second véhicule mobilisé dans les registres de la police. Les jeunes garçons étaient-ils poursuivis par la BAC ou par quelqu'un d'autre ? Que cherchaient-ils à fuir ? Tant de questions auxquelles les familles n'ont d'autre réponse qu'un silence assourdissant.

De son coté, Peggy craint que l'affaire soit classée sans suite, elle déplore : « Ça fait 3 ans qu'on nous refuse tout, tout ce que l'on a demandé. L'enquête est en stand-by. ». Valérie, quant à elle, revient sur les demandes de reconstitution des faits : « J'ai fait plusieurs demandes d'actes et de reconstitution depuis 3 ans, toutes refusées. ». A l'argument de la SNCF d'une opération trop coûteuse, elle objecte : «Mon fils n’avait pas de prix. ».

La banderole confectionnée par Valérie, la mère de Matisse ©LaMeute - Moulinette

Dans l'enquête de Radio Parleur, on découvre également l'existence d'éléments troubles ayant altéré les relations entre les mères de Sélom et Matisse, les poussant aujourd’hui à manifester séparément. Sous une fausse identité, une femme aux motivations inconnues aurait poussé les deux femmes au conflit à force de manipulations. Une révélation qui ravive tant de douleurs et soulève bon nombre de questions.

Bien qu'ayant perdu leur unité, les lionnes de Lille n'ont jamais cessé de se battre. En trois ans de combat acharné, elles sont devenues des figures incontournables des luttes sociales lilloises, participant à chaque mobilisation, relayant chaque appel. Ce dimanche 19 décembre, alors que le mouvement contre la loi de sécurité globale peine à mobiliser massivement à Lille, ce sont, pour la première fois, ces familles de victimes de crimes policiers qui prennent la tête de cortège. Un acte symbolique fort, remettant la parole des victimes au coeur de la lutte contre la loi de sécurité globale dans la région.

Merci pour votre lecture

La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 8h de travail.

- Photos : Moulinette;

- Relecture : Graine ;

- Texte : Moulinette ;

- Mise en page: Moulinette.

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