Marche pour Adama 5 : un mot d’ordre inchangé, un combat continu

Plus de 2.000 personnes ont participé à la cinquième marche en hommage à Adama Traoré. ©LaMeute - Jaya

Plus de 2.000 personnes ont participé à la cinquième marche en hommage à Adama Traoré. ©LaMeute - Jaya

Comme chaque année, une marche en l'honneur d'Adama Traoré a eu lieu à Beaumont-sur-Oise (95), ce samedi 17 juillet. La mort en 2016 de ce jeune homme noir de 24 ans, impliquant un équipage de trois gendarmes, n’a toujours pas donné lieu à un procès ; et comme depuis cinq ans, la marche entendait ne réclamer que deux choses : la vérité, et la justice pour Adama.


Il y a des dates auxquelles LaMeute ne peut se dérober - la marche pour Adama en fait partie. On aimerait pourtant que cela cesse, tant cela n’a que trop duré. Voilà cinq années maintenant que le parcours reste inchangé. Cinq années que l'on conspue les gendarmes de Persan-Beaumont, là, de l'autre côté du grillage froid, osant à peine se montrer à la fenêtre de la caserne. Cinq années que l'on déambule dans les petites rues de la ville, là où tout a commencé, où Adama aurait pu ne jamais croiser la route de ses bourreaux, et fêter comme il se doit son anniversaire, “avec son bob et son short à fleurs”. Cinq années que l'on se rend dans son quartier d'enfance où ses ami-es, sa famille, ont un regard mi-triste, mi-déterminé.

Il faut dire pourtant qu’à de rares occasions -au milieu des épreuves que surmonte le Comité Vérité et Justice pour Adama dans sa lutte contre une Justice défaillante, on se surprend à croire que tout va s’arranger. Surtout ces dernières semaines, quand la sœur d’Adama, Assa Traoré, gagne un procès en diffamation contre les gendarmes qu'elle accuse d'avoir tué son frère.

Ou bien encore quand Bagui Traoré, frère également d’Adama, et surtout dernier témoin à l’avoir vu en vie, est innocenté dans l'affaire où soixante gendarmes l’accusaient à l'unisson de tentatives de meurtre - accusations pour lesquelles il avait été détenu en détention provisoire pendant plus de quatre ans. C’est Samir Elyes, ancien du Mouvement de l'immigration et des Banlieues (MIB), et membre du Comité depuis le début du combat, qui résumera le mieux la situation :

Les gendarmes ont été humiliés pendant trois semaines.
— S.Elyes
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Juste avant de débuter la marche, le Comité Adama s'est exprimé sur le parvis de la mairie de Persan. L'occasion de revenir sur l'actualité des dernières semaines concernant l'affaire Adama. Les premières réactions se sont d'abord faites au sujet de la libération de Bagui : “de l'oxygène pour nous, elle nous donnera encore plus de force” selon Assa Traoré. “ C’est le dernier à avoir vu Adama vivant, c’est le premier à l'avoir vu mort, sur le sol de cette cour de gendarmerie. C’est un témoin qu’on a voulu isoler et casser psychologiquement”, continue-t-elle. Mais on s’est battu-es, on a crié son innocence. Il y a eu un grand pas vers la liberté pour Bagui mais c’est un petit pas vers la Justice. Nous réclamons plus, nous exigeons plus”. Tout juste sorti de prison, voix chancelante, Bagui Traoré, qui n’avait pu participer aux quatre précédentes marches, a lui évoqué “une brèche” pour “arriver au but : le jugement des gendarmes”. 

Le Comité a également longuement réagi aux révélations de Mediapart, qui avait dévoilé que les gendarmes impliqués dans la mort d’Adama avaient été décorés à l'automne 2019 par leur hiérarchie. 

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“nous réclamons plus, nous exigeons plus”

Assa Traoré, après la libération de son frère Bagui, acquitté des accusations de tentative d’homicide.

La marche en elle-même a rassemblé entre 2000 et 3000 personnes, ce qui paraît peu comparé aux années précédentes (près de 10 000 l’an dernier), mais il faut expliquer la faible mobilisation à la lumière du contexte. A l'inverse de l’été dernier, la situation liée au COVID, et notamment la mobilisation contre le pass sanitaire obligatoire (mais pas vraiment) a totalement éclipsé la question des violences policières racistes. Tandis que nous marchions à Beaumont, d'autres manifestaient contre les mesures sanitaires à République. 

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Samir nous glissera que “la situation est compliquée. Avec 8 mois de couvre-feu, c’est difficile d'occuper le terrain. C'est mathématique : plus on occupe la rue, plus les gens se mobilisent. Il n'a que comme ça que l’on peut gagner”. 

La famille a par ailleurs fustigé à plusieurs reprises les aléas des transports en commun qui, entre travaux saisonniers et suppression abondante de trains, donnaient à la venue à Persan-Beaumont des allures de parcours de combattant.

S’il le faut, on marchera à trois”, glisse néanmoins la fratrie.

Plus que trois : les membres du comité Vérité et Justice pour Adama. Infatigables et reconnaissables par leurs tee-shirt roses, iels étaient comme toujours aux petits soins -s’inquiétant tout autant de la sûreté du parcours que de la visibilité des familles de victimes de violences policières. Sous les applaudissements, Assa Traoré a rappelé que “sans eux, moi, je ne suis rien”.

Tout comme l’année précédente, la marche s’est achevée au stade du quartier de Boyenval par le Festival Adama. La traditionnelle expo-photo retraçant le combat pour Adama au fil des ans composait avec une vente de t-shirts et des jeux gonflables pour les enfants.

A quelques mètres de là, une scène montée pour l'occasion a vu défiler des artistes présenté-es par nul autre que Youssoupha. Dans la liste, des habitué-es comme Hatik ou la Section Pull-up, mais aussi Wejdene ou encore Seth Gueko.

La fin de la marche signe en général une pause estivale pour le Comité Adama. Cette année, avec le retour de Bagui, elle a une saveur particulière. Pause ne veut pas dire relâchement pour autant, car si les bonnes nouvelles ont accompagné le Comité sur les dernières semaines, les juges en charge de l'affaire à Paris ont ordonné une nouvelle expertise médicale (on a perdu le compte…) sur la base de nouveaux éléments allant dans le sens d’un mauvais état de santé d’Adama. En cause : un arrêt de travail daté de juin… 2014. Malgré les demandes répétées des avocats des Traoré, les juges n'ont pas transmis lesdits éléments à la famille ; autant dire qu'il s'agit probablement encore ici de perdre du temps sur le chemin qui mène au procès. Rappelons au passage qu’à présent, aucune reconstitution judiciaire permettant d’éclairer la famille sur les circonstances de la mort d’Adama n’a encore été réalisée, et que les gendarmes n'ont toujours pas été mis en examen et bénéficient du statut de témoins assistés.

Une nouvelle date à été donnée par Assa Traoré lors de la marche : rendez-vous à été donné le 31 août au Tribunal de Paris. 

©LaMeute - Graine

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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 4 personnes et environ 27h de travail.

- Texte : Graine,

- Photos : Graine, Jaya, Kaveh

- Mise en page : Mes