Procès des révoltes de Beaumont: ”Diaboliser, c'était le vrai sens de ce procès”
Me Berton, Assa et Bagui Traoré, Me Belmokhtar et Lastelle, devant la maison d’arrêt de Bois d’Arcy. ©LaMeute - Jaya
Pendant trois semaines, la cour d'Assises de Pontoise (95) a examiné les événements survenus après la mort d'Adama Traoré en 2016. Démêlant le vrai des spéculations, le Tribunal a acquitté trois des cinq accusés. Une "première victoire" pour le collectif Justice et Vérité pour Adama, qui n'a eu de cesse "de rappeler le contexte de la mort d'Adama".
"Ce n'est pas le procès de la haine de la gendarmerie. Ce n'est pas vrai", lance dans un souffle Youcef Brakni, quelques heures avant le verdict rendu par le Tribunal de Pontoise. La Cour non plus, ce vendredi 9 juillet 2021, ne s'y est pas trompée. En dépit de peines sévères à l'encontre de deux accusés jugés pour "tentative d'homicide", elle en a acquitté trois autres, et a répudié le critère de "bande organisée" (une circonstance aggravante, NDRL) pour l'ensemble des mis en cause. Cet été de 2016, "chacun fait éclater sa rage avec les moyens du bord", a observé le président de la Cour, et ce, bel et bien "en réaction à la mort d'Adama".
Une révolte à la loupe
Scènes filmées à l'hélicoptère, deux ans d'écoutes téléphoniques : malgré les moyens démesurés à l'oeuvre pour documenter les "émeutes" de Beaumont (nous préférons le terme de révolte), la Cour n'a pas été en mesure de démontrer la culpabilité de l'ensemble des personnes sur le banc des accusé-es; s'éloignant parfois des réquisitions des Avocat-es générales, et critiquant longuement l'enquête menée. Cette dernière "en était restée aux simples hypothèses", fustige la Cour.
Les accusés E.M et S.C ont écopé respectivement de douze ans de prison ferme et huit ans dont une année de sursis. Pour ce dernier pourtant, l'enquête ne démontre pas avec précision qu'il a tiré en direction des gendarmes; mais qu'il a "a minima tenté de le faire à chaque mise en joue", justifie le président Marc Trévidic.
Juré-es et magistrat-es ne retiendront par ailleurs ni les réquisitions du Parquet à l'encontre de C.T -acquitté du chef d'accusation de "tentative d'homicide" car le visionnage des vidéos n'a pas pu établir qu'il s'agissait bien du tireur, ni celles contre S.B -jugée pour complicité et subordination de témoins. Vaines également, les écoutes téléphoniques n'ont pu démontrer que S.B tentait d'influencer un témoin, seulement qu'elle s'inquiétait pour son compagnon, Bagui Traoré.
"Les magistrat-es ont découvert un dossier vide. Il y a eu de l'agacement et même des rires!", se remémore Youcef Brakni. "Certains gendarmes ont comparé la situation avec l'Afghanistan, ont décrit la situation à Beaumont comme l'enfer sur terre alors que les vidéos ne montraient pas du tout cela", se désespère-t-il.
Un jugement "historique" pour les avocat-es
“Diaboliser, c’était le vrai sens de ce procès”
La nuit du 19 juillet 2016, et les trois nuits qui suivront, les habitant-es de Beaumont crient leur colère à l'annonce de la mort d'Adama Traoré dans la cour de la gendarmerie de Persan, ville voisine. Le dernier accusé, Bagui Traoré, en garde à vue à plusieurs kilomètres de là, n'est même pas présent sur les lieux le 19 juillet comme le démontrera la lecture du dossier pendant ces trois semaines de procès. Le président observe et déplore "une enquête à charge pour établir la présence de Bagui Traoré à Beaumont comme si sa présence en elle-même était une preuve de culpabilité (...). La justice ne peut pas se passer de preuves, or c’est ce qu’il s’est passé dans le cas de Bagui Traoré".
Le cas de Bagui Traoré est emblématique du "naufrage judiciaire" décrit par ses avocat-es. Mais cela n'est pas la raison pour laquelle il est le plus médiatisé. "Le dossier porte le nom de Bagui Traoré. Il y a eu la volonté de créer un climat autour de la famille Traoré pour justifier a posteriori la mort d'Adama", affirme Youcef Brakni. "Pour insuffler l'idée qu'Adama était comme ses frères, et qu'Adama méritait de mourir si ses frères étaient des délinquants", poursuit-il.
Le nom d'Adama a bien évidemment plané tout autour de ces trois semaines de procès. A la suite de son décès, plusieurs de ses frères ont été condamnés. Bagui Traoré, dernière personne à l'avoir vu de son vivant, a quant à lui été placé en détention provisoire dans ce dossier en mars 2017, tout en purgeant une autre peine. "Les avocat-es ont bataillé pour rappeler le contexte de la mort d'Adama, et iels ont réussi", juge satisfait le collectif Justice et Vérité pour Adama.
Une famille réunie
A l'annonce du verdict, les avocat-es de l'accusé se sont réjouis d'un "acquittement pas au bénéfice du doute, mais un acquittement au bénéfice de la certitude" de l'innocence de Bagui Traoré. Une victoire stratégique annoncée pour la famille Traoré et leur soutien qui s'étaient réunis en début d'après-midi dans l'attente du verdict.
En effet, la veille, l'Avocate générale avait requis l'acquittement de Bagui Traoré. Ainsi, les premiers sourires se dessinaient sur les lèvres des personnes présentes -de 21 mois à des âges plus honorables.
"Aujourd'hui un espoir naît (...). Oui, c'est un espoir, mais le combat continue", a rappelé Assa Traoré. Devant la prison du bois d’Arcy, la famille, les avocat-es et quelques soutiens sont présent-es pour enlacer Bagui; certain-es membres du comité le rencontre même pour la première fois, lui qui sort de 4 ans et 5 mois de détention provisoire.
“Justice pour Adama ! On est avec vous !”; “Votre combat est admirable!” ; en pleine nuit, plusieurs conducteurs-trices passent aux abords de la prison et ralentissent pour crier leur solidarité à la famille Traore.
Les sourires illuminent les visages et rien ne semble pouvoir arrêter Bagui, rempli d’énergie et d’envie, planifiant déjà les voyages pour revoir ses proches ou enchaînant déjà mille plans imaginaires : “Je vais venir te voir ! Je vais partir là-bas aussi ! Ah enchanté, on va apprendre à se connaître ! Merci d’être là ! On va tous manger ensemble tout de suite non ? Ma mère m’attend, faut qu’on aille chez elle! Demain je vais faire ça !” Cependant, les visages se referment en évoquant les personnes qui passeront ce soir une nuit en prison: “On pense à celleux qui sont séparé-es de leurs proches. On est toustes une famille maintenant. On vous donne rendez-vous samedi prochain”, rappelle Assa Traoré dans une prise de parole diffusée sur la page Facebook du Comité pour Adama.
Comme chaque année, une marche se tiendra à Beaumont pour commémorer la mort d'Adama. Une marche qui réunira, pour la première fois en cinq ans, tous les frères d'Adama.
©LaMeute - Jaya & Mes
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La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 13h de travail.
- Photos : Jaya
- Texte et Mise en page: Mes
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