Marche nationale des sans-papiers : « nous ne sommes pas dangereux, nous sommes en danger »

Depuis le 19 septembre, des marcheur·ses sans-papiers traversent la France destination l’Elysée. La date du 17 octobre fait référence au massacre des Algérien·nes du 17 octobre 1961. Photo : Page Facebook de la marche

Depuis le 19 septembre, des marcheur·ses sans-papiers traversent la France destination l’Elysée. La date du 17 octobre fait référence au massacre des Algérien·nes du 17 octobre 1961. Photo : Page Facebook de la marche

Les 2 et 3 octobre dernier, la marche nationale des sans-papiers est arrivée à Lyon. Les marcheur·ses y ont manifesté pendant deux jours avant de reprendre la route, à pieds, jusqu’à l’étape finale : l’Elysée, le 17 octobre à Paris. Une marche pour l’égalité les droits et la dignité.


Vendredi 2 octobre, c’est le déluge à Lyon depuis le début de la journée, mais les marcheur·ses restent déterminé·es. Déjà deux semaines que la marche nationale des sans-papiers s’est élancée, au départ de Marseille. Depuis le 19 septembre, ils marchent, du matin au soir : Aix, Lauris, Cavaillon, Avignon, Valence... et la veille Vénissieux -la ville de Djamel Attalah, initiateur de la marche pour l’Egalité de 1983, qui est d’ailleurs présent au rassemblement pour témoigner de son expérience.

Lyon est la première ville où les marcheur·ses vont rester quelques jours pour pouvoir reprendre des forces. Néanmoins, le programme est quadrillé et ce n’est pas la pluie qui va changer leurs plans. 14h30, les marcheur·ses sont en route vers le Centre de Rétention Administratif (CRA) de Lyon. Ce CRA -comme la vingtaine d’autres existants en France,-enferme des étrangers, avant leur expulsion vers leur pays d’origine, car jugés en situation de séjour illégal. Contrôlé·e dans la rue, dans les transports ou venant directement de la prison, un·e étranger·e en attente d’expulsion peut attendre jusqu’à 90 jours dans un CRA.

Une durée de rétention qui n’a cessé d’être prolongée depuis la création des CRA au début des années 80, jusqu’à atteindre trois mois suite à la loi « Asile et Immigration » de 2018.

Le CRA de Lyon-Saint-Exupéry est loin, presque deux heures. Depuis la gare La Part-Dieu, il faut prendre le tram, puis le bus. Une navette a beau assurer ce trajet bien plus rapidement, cette dernière coûte environ 13 euros. Une centaine de personnes se retrouve finalement devant le CRA. Un militant du mouvement des sans-papiers arrive à joindre un retenu et fait écouter -à l’aide d’une enceinte- à tous·tes les manifestant·es, les témoignages de ceux et celles qui sont derrière les murs. Tous·tes parlent de l’insalubrité, des propos racistes tenus par les policiers [c’est la Police Aux Frontières (PAF) qui officie au sein du CRA, NDLR] et de l’incompréhension face à leur enfermement alors que certain·es ont des enfants en France où sont exposé·es à des risques dans leur pays. 

Des témoignages de ce type, des associations tentent de les diffuser au maximum pour alerter sur les conditions de rétention : le site A bas les CRA, la newsletter le Tourniquet (Marseille) et La Crazette (Île-de-France), toutes deux publiées dans la section “Documents” sur le site de la Cimade, une des organisations d’aide juridique aux étranger·es enfermé·es, qui les accompagne dans l’exercice de leurs droits. L’organisation publie d’ailleurs chaque année un rapport sur les conditions de rétention et des guides illustrés pour comprendre les mécanismes de l’expulsion.

« La préfecture, y en a marre »

« Nous sommes vulnérables, nous demandons l’égalité, notre marche est un mouvement pacifique. Nous ne sommes pas dangereux, nous sommes en danger », s’époumone Nassera, figure du collectif de sans-papiers de Marseille (CSP13).

Pendant le confinement, j’ai fait la sécurité dans un Ehpad, douze heures par jour. Je donnais les masques, j’ouvrais le parking etc. Qui d’autre voudrait faire ce métier à part un sans-papier ?
— ALIOUNE

Plusieurs marcheur·ses travaillent depuis des années en France et parmi les retenu·es dans les CRA, des personnes exposées à des risques sérieux dans leur pays d’origine. En effet, le rapport (page 18) de la Cimade rappelle qu’en 2019 :

951 Afghans, 357 Soudanais, 339 Irakiens, 283 Somaliens, 180 Iraniens, 166 Érythréens, ou encore 118 Syriens” étaient retenus dans CRA en vue d’une expulsion.

Alioune, 46 ans est l’un des porte-parole du CSP75 à Paris.  Venu dès le début de la marche en renfort aux autres collectifs, il s’exprime : « Cela fait 12 ans que je travaille en France. Pendant le confinement, j’ai fait la sécurité dans un Ehpad, douze heures par jour. Je donnais les masques, j’ouvrais le parking etc. Qui d’autre voudrait faire ce métier à part un sans-papier ? ».

Il raconte la galère de la régularisation par le travail. « Pour déposer un dossier, il faut des bulletins de salaire, un contrat ou une promesse d’embauche. Il faut aussi prouver que l’on gagne le Smic et avoir le document Cerfa signé par l’employeur. Mais l’employeur ne veut jamais nous donner ces papiers. Le plus souvent, on gagne plutôt 800 euros que le Smic », précise-t-il.  Une exploitation qui perdure pendant des années et qui semble arranger beaucoup de monde. « On veut nous expulser mais on nous exploite pour tout le travail que les gens ne veulent pas faire », continue Alioune qui malgré la fatigue continuera de marcher jusqu’à Paris avec détermination et fierté.

« Vu le temps, il y avait du monde devant le CRA !», positive Alioune avant que tout le monde ne reprenne le bus, puis le tram, pour retourner en centre-ville de Lyon et partager un dîner tous.tes ensemble. C’est à l’Espace Communal de la Guillottière que les marcheur·ses, leurs soutiens ainsi que les hébergeurs solidaires, se rejoignent, enlèvent les capes imperméables et réchauffent comme ils peuvent leurs pieds trempés. Un couscous bien chaud attend d’être servi. « C’est la première fois que je participe à une manifestation comme ça », avoue Sylla, 27 ans, arrivé de Guinée il y a quelques années.

« Je suis venu pour m’entraîner à prendre la parole pour motiver les gens. »

Auto-organisation collective

C’est à vous de saisir cette chance là. De parler d’une seule voix. Il nous reste 14 jours pour populariser la marche pour qu’elle soit inscrite dans l’histoire du mouvement des sans-papiers.
— anzoumane sissoko

Le lendemain, samedi 3 octobre, les marcheur·ses de Marseille, Grenoble ou encore Montpellier, se rejoignent dans un squat qui leur a ouvert les portes afin d’organiser la manifestation dans le centre ville de Lyon. Chacun·e propose ses idées, définit les prises de paroles et le parcours de la manif. « Ici, il n’y a pas de chef : que des porte-paroles. On s’organise collectivement », rappelle Nassera.

Un invité d’honneur est là. C’est le « doyen Sissoko » comme ils le surnomment. Militant depuis le mouvement de 1996 pour les droits des sans-papiers, Anzoumane Sissoko a fait le déplacement spécialement de Paris pour rappeler aux marcheurs l’importance de cette nouvelle marche : « C’est à vous de saisir cette chance là. De parler d’une seule voix. Il nous reste 14 jours pour populariser la marche pour qu’elle soit inscrite dans l’histoire du mouvement des sans-papiers. Pour qu’on puisse obtenir la régularisation globale. Plus on arrive à mobiliser les Français jusqu’à Paris mieux c’est car, ce sont eux qui votent, pas nous. Mais pour les mobiliser il faut que nous, on soit ensemble et qu’on parle d’une seule voix».

Après le déjeuner, c’est le départ pour la marche. Les marcheur·ses défilent jusqu’à la Place Bellecour dans le centre de Lyon pour y rejoindre différents collectifs, associations et syndicats avant de poursuivre le dernier bout du parcours. Les rangs se grossissent et quand la manifestation prend fin à 18h devant la préfecture de Lyon, environ 2000 personnes sont présentes selon les organisateur·trices.

Moi j’ai compris que tout seul tu n’arrives à rien
— sylla

Sylla a mal à la tête à force de crier dans le mégaphone mais il est heureux de voir le monde qui s’est petit à petit greffé aux marcheur·ses sans-papiers. Il insiste sur la nécessité de s’engager dans une telle lutte : « On a besoin de collectif, on a besoin d’être organisé. Moi j’ai compris que tout seul tu n’arrives à rien parce que quand tu vas à la préfecture pour déposer ton dossier, on te dit juste : non ce n’est pas complet. On ne connaît pas assez nos droits quand on arrive. Donc il faut que l’on s’entraide pour comprendre nos droits ».

Dès le lundi 5 octobre les marcheur·ses sont repartis. Cette semaine verra aussi le départ d’autres collectifs de sans-papiers comme ceux de Strasbourg et Rennes notamment. Avec le même objectif : réunir le plus de monde possible devant l’Elysée, le 17 octobre pour interpeller Emmanuel Macron et obtenir un traitement digne.

Lou Bes - pour ©LaMeute

Toutes les étapes de la marche ici

Le lien de l’évènement Facebook : Marche vers l’Elysée


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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et plusieurs heures de travail.

- Texte : Lou Bes pour Lameute

- Relecture et mise en page : Mes

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