Marche nationale des sans-papiers à Paris : une marche, avant que le jour s’achève

Le cortège de la marche des solidarités s’élance sur le boulevard Magenta. Plusieurs rues étaient totalement bloquées par des barrières anti-émeutes. ©LaMeute - Bandiougousensei

Le cortège de la marche des solidarités s’élance sur le boulevard Magenta. Plusieurs rues étaient totalement bloquées par des barrières anti-émeutes. ©LaMeute - Bandiougousensei

Depuis le 19 septembre 2020, des étranger·es en situation irrégulière sur le sol français ont convergé jusqu’à Paris. Samedi 17 octobre, lors d’une ultime étape, iels ont manifesté pour sortir de l’ombre, une bonne fois pour toute. Près de 40 000 personnes ont participé à cette marche des solidarités, qui réunissait un grand nombre de ces « indésirables ».

La date avait été choisie longuement en avance, sans savoir que quelques semaines plus tard, le président de la République annoncerait la mise en place d’un couvre-feu dans les rues de Paris. 59 ans après le massacre de plusieurs centaines d’Algérien·nes* qui protestaient contre un couvre-feu arbitraire et discriminatoire, la violence inouïe de l’Histoire plane sur le cortège de la marche des solidarités 2020. Elleux aussi demandent l’arrêt de pratiques discriminantes, elleux aussi demandent à vivre dignement : des sans-papiers -entouré·es de plus de deux cents organisations, associations locales, collectifs écolo et syndicats, sont arrivé·es dans le centre de Paris, près d’un mois après leur départ initial de Marseille. Pour beaucoup, la marche de 2020 est « historique ».

Un coup D’ÉCLAT

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Pour beaucoup, la marche de 2020 est

« historique »

©LaMeute - Bandiougousensei

« Certain·es ont fait les 28 jours de marche », souffle –admiratif- Ibrahim du collectif Ensemble pour notre régularisation qui est composé à « 100% de sans-papiers ». Lui n’a marché « que » 200 km depuis Marseille, et 300 km au départ de Strasbourg. « Sincèrement, on a galéré », admet-il en évoquant les nuits passées dehors et le froid. Ce samedi d’octobre, plusieurs axes rejoignent effectivement Paname : des marcheur•ses de Lille, d'autres de Grenoble et Rennes, ou encore d'Alsace, doivent arriver pour 14h sur la place de la République. Celles et ceux qui arrivent en avance sont accueilli•es comme des champion•nes. Les banderoles déployées jaillissent de toutes parts, se mélangent, sans que l'on arrive désormais à comprendre si ce nouveau cortège arrive de Marseille, ou bien même de Strasbourg. 

Un jeune homme laisse exploser sa joie d’être présent à la marche. ©LaMeute - Bandiougousensei

Un jeune homme laisse exploser sa joie d’être présent à la marche. ©LaMeute - Bandiougousensei

C’est le drapeau français qui prédominait, ce samedi dans les rues de Paris. ©LaMeute - Izpho

C’est le drapeau français qui prédominait, ce samedi dans les rues de Paris. ©LaMeute - Izpho

Un peu en retrait, Ibrahim fignole la décoration : il accroche un drapeau français sur la camionnette du collectif. « Je suis Français, je paye mes impôts comme les Français•es, je fais tout comme les Français•es. Le drapeau algérien, je le soulève quand je suis en Algérie », précise-t-il, en faisant mentir la règle selon laquelle un·e Algérien·ne ne se déplace jamais sans son drapeau.

La marche des solidarité mérité bien que l'on s'attache aux détails : il aura fallu plusieurs mois d'organisation, des réunions chaque semaine, des discussions âpres avec la Préfecture de police -qui a finalement interdit le parcours de la marche qui devait mener le cortège à l'Élysée- et « deux actes » pour arriver au 17 octobre 2020.

Les membres du collectif Ensemble pour notre régularisation ont travaillé pendant de nombreux mois pour organiser la marche du 17 octobre 2020. ©LaMeute - Mes

Les membres du collectif Ensemble pour notre régularisation ont travaillé pendant de nombreux mois pour organiser la marche du 17 octobre 2020. ©LaMeute - Mes

Des précédentes manifestations ont eu lieu les 30 mai et 20 juin -cette dernière devait rejoindre la marche en hommage à Lamine Dieng. 

« C'est un mouvement de fond qui est en train de se propager », se félicitaient à l'unisson les organisateur•trices de la marche lors d'une conférence de presse. Deux cents organismes mobilisés autour d'une seule même lutte : c'est un sacré gage. A Paris, ce sont finalement des dizaines de milliers de personnes qui ont répondu à l'appel des sans-papiers demandant leur régularisation, la fermeture des CRA (Centre de Rétention Administrative) et un logement digne. La mobilisation est d'autant plus un succès que les sans-papiers « sont atomisé•es par la politique de l’Etat », comme le rappelle Céline, une Montpelliéraine du collectif Migrants Bienvenue 34.

A l’organisation comme au sein du cortège, des soutiens certes, mais surtout, surtout des sans-papiers. « Iels montrent le chemin. Une société progresse toujours quand les plus précaires se soulèvent », constate-t-elle. Marcheuse de Montpellier à Avignon, puis à Lyon, elle raconte : « un copain [sans-papiers] a pris la parole devant 2.000 personnes. Il n'avait jamais parlé dans un micro avant ça ». Néanmoins, pour la Sudiste, la marche des solidarités « n’est qu’une étape ». 

Déplorant la faible couverture médiatique, elle cite le Comité Adama en exemple.

« Iels étaient marginaux au départ mais iels ont réussi à casser le plafond médiatique. On n’y est pas encore arrivé tout à fait, on est encore dans ce processus », analyse-t-elle.

Un coup d’éclat mais pas un coup de force. La marche qui espérait atteindre les abords de la place de la Concorde atteindra seulement l’Eglise de la Sainte-Trinité dans le XIXème arrondissement.

« Nous ne sommes pas très surpris·es de cette interdiction », souffle-t-elle.

Les indésirables

Le collectif Acceptess Transgenres avait appelé à rejoindre la marche des sans-papiers. ©LaMeute - Bandiougousensei

Le collectif Acceptess Transgenres avait appelé à rejoindre la marche des sans-papiers. ©LaMeute - Bandiougousensei

Si l’objectif de la marche était de sortir de l’ombre ceux et celles qu’on appelle “sans-papiers” : c’est réussi. ©LaMeute - Bandiougousensei

Si l’objectif de la marche était de sortir de l’ombre ceux et celles qu’on appelle “sans-papiers” : c’est réussi. ©LaMeute - Bandiougousensei

Le contexte –sanitaire et politique- aura assombri d’autres revendications. Ce samedi aurait également dû être le théâtre de la 24ème marche ExisTransInter pour les trans et personnes intersexes. 2020 a été une année sombre pour la communauté, avec l’assassinat de Jessyca Sarmiento en février, et le suicide de trois femmes transgenre depuis le début de l’été. Les collectifs n’ont eu de cesse de pointer du doigt l’inaction du gouvernement. Nombre d’entre elleux sont là, en signe de soutien avec les « demandeur·ses de sans-papiers ».

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« Nous avons tous des actes de naissance », raillaient certain·es organisateur·trices de la marche. Mineurs isolé·es, diplômé·es sans emploi, dernier·es de cordée… Autant de parcours de vie singulier qui défile lors de la marche nationale des sans-papiers.

Silamakan est l’un d’elleux. Derrière la banderole « en grève depuis octobre 2019 », il travaille depuis deux ans pour la collectivité territoriale de Sèvres (92) qui sous-traite les activités de nettoyage au groupe CPN (Compagnie Parisienne du Nettoyage). Depuis l’automne 2019, d’après Silamakan, 49 employés sans-papiers mènent grève. « Seul 16 personnes ont reçu une promesse de contrat. Mais ils n’ont toujours rien reçu », ajoute-il.

« Depuis notre premier rassemblement », et même si « le maire est au courant, rien n’a été résolu », déplore-t-il.

Les portraits de Moustafa, Mozamil et Salim, réalisé par l’artiste AL surplombe le cortège. ©LaMeute - Bandiougousensei

Les portraits de Moustafa, Mozamil et Salim, réalisé par l’artiste AL surplombe le cortège. ©LaMeute - Bandiougousensei

Parfois, après les embûches, le présent est plus radieux. Alors que les membres du collectif Migrants Bienvenue 34 tiennent à bout de bras des gigantesques portraits de l’artiste AL, un homme s’approche : « Excusez-moi, l’homme sur le portrait, il ne serait pas Soudanais par hasard ? Il était dans mon lycée au Darfour ! ». L’homme en question, Moustafa, est en Italie. Il a un travail. Il va bien, le rassure Céline. Moustafa, Salim et Mozamil -dont les portraits sont brandi, ont tous un emploi désormais.

Ce n’est pas le cas de Zakaria, arrivé à Marseille il y a un an d’Algérie. « Angoissé », il rejoint la marche le 19 septembre sans hésiter. Angoissé, par quoi ?  « Car j’étais sans travail là-bas», souffle celui qui était auparavant chargé de communication dans une agence de voyage. Il résume la marche en deux mots : « fatiguant » et « solidarité ». La veille, il a dormi dans une salle de sport ; et les jours suivants ?

La liberté, c’est ça le sujet du jour
— ZAKARIA

Le reste, il verra plus tard.

La liberté d’être ce que l’on veut être : c’est peut-être la quatrième revendication du 17 octobre 2020. Comme pour cet homme de Guinée-Conakry qui rêve de faire une formation en boulangerie. Il est arrivé le « 16 novembre 2016 en Europe » en partant de Libye, avant d’être enfermé plus de trois ans dans un CRA en Italie… On se dit que c’est fou qu’il n’ait pas cessé de rêver. C’est précieux un rêve.

©LaMeute - Mes

* Bien que le bilan du massacre du 17 octobre 1961 n’est toujours pas connu, et que l’Etat français ne l’a toujours pas reconnu comme tel, l’historien Jean-Luc Einandi estimait le nombre de mort·es à « plus de 300 ».


PORTOFOLIO

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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 3 personnes et environ 16 heures de travail.

- Texte et mise en page : Mes

- Photos : Bandiougousensei, Izpho et Mes

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