Marche des libertés du 30 janvier : une dernière pour la route?

CSI, surveillance et free party au menu de la manifestation du 30 janvier 2021. ©LaMeute - Ibnou

CSI, surveillance et free party au menu de la manifestation du 30 janvier 2021. ©LaMeute - Ibnou

Plusieurs rassemblements en France avaient lieu ce samedi, alors que de nouvelles mesures sanitaires sont attendues pour tenter d'endiguer l'épidémie. A Paris, environ 8000 personnes ont défilé pour rejoindre un autre rassemblement -statique cette fois-ci- qui ne faisait pas l'unanimité. Entre deux charges policières, les opposant-es à la loi sur la Sécurité Globale ont manifesté leur défiance. Ils ont également dansé, beaucoup dansé.

Le mouvement contestataire contre le projet de loi de Sécurité Globale s'essouffle-t-il? Samedi 30 janvier 2021, place de la République -où avait lieu un rassemblement organisé par la coordination Stop Sécurité Loi Globale ainsi que les collectifs de soutien aux inculpé-es de la rave party de Lieuron- ou à Nation, au départ d'une manifestation qui a réuni environ 8000 personnes, on est d'abord tenté de répondre oui. 

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Deux appels à Paris

Il y a eu la surprise, l'incompréhension, puis le ressentiment. La cinquième "marche des libertés" organisée en réaction à l'article 24 de la loi de Sécurité Globale et à la loi confortant les principes républicains a eu lieu, certes, mais pas sans son lot d'embrouilles internes. Place de la République, ce fut un rassemblement statique qui eut les faveurs de certain-es opposant-es, avec prises de parole et moments festifs. Pour les collectifs écolo (Extinction Rebellion), interprofessionnels (Art en Grêve, Bas les masques), citoyens (Gilets Jaunes, les Colleureuses) et organisations militantes (ACTA, Cerveaux Non Disponibles) : pas question de céder à la possibilité d'une "nasse géante".  

Il y avait plus de policiers que de manifestant-es au départ de la marche, à Nation. ©LaMeute - Tulyppe

Il y avait plus de policiers que de manifestant-es au départ de la marche, à Nation. ©LaMeute - Tulyppe

"Je suis passée au rassemblement à Répu, mais je suis partie aussitôt. Parce que cette espèce de calme forcé -contraint en fait par la peur de la répression...", souffle Laura, rencontrée près de Nation sous une pancarte "A qui profite le calme?". "Les appels au pacifisme créent un apaisement, ou plutôt un effacement de soi. Et ça aussi, cela fait partie du jeu du gouvernement", juge la jeune femme. 

De fait, au sein du cortège, parti à 13h de la place de la Nation, l'atmosphère est étrange, ponctuée de moments où le silence est roi. Aux fenêtres, des habitant-es comme déjà confiné-es observent le défilé. "Les moutons au balcon", scandent soudainement les manifestant-es. "Je pense que le mouvement va redémarrer. On ne peut pas accepter plus longtemps cette limitation de nos libertés", imagine Laura. C'est pour cela qu'elle a préféré quitter le rassemblement place de la République. "Cette manifestation est plus en phase avec la situation actuelle. Le débordement fait aussi partie de l'expression du peuple. Moi, je suis pacifique, mais je soutiens plus les casseur-ses que les flics", poursuit-elle.

Le long du boulevard de Philippe Auguste, certain-es brandissent des pancartes au sujet d'un hypothétique "passeport vaccinal". Des étudiant-es évoquent la loi LPR, des Gilets Jaunes demandent aux forces de l'ordre de danser La Macarena. "La loi Sécurité Globale a été un catalyseur, mais j'irais aussi à la contre manifestation de la "Manif Pour Tous". Il y a beaucoup de mouvements fascisants dans notre société", déclare Laura. 

Isabelle, elle, brandit une pancarte "nos libertés partent en fumée", trouvée sur le capot d'une voiture quelques mètres plus tôt. "Mais elle parle d'elle-même", constate-t-elle satisfaite de sa trouvaille. Isabelle Walbert se définit comme "BTP en colère" et "Gilet Jaune de la première heure".  Et aussi, "maçonne active", en dépit d'une chute d'un échafaudage pas aux normes en 2016. Elle quitte sa boîte après 14 ans de bons et loyaux services pour travailler en intérim à ses conditions. Peu soutenue par sa hiérarchie, pas encore indemnisée à cause de procédures qui "prennent trop de temps", elle a donc rejoint les manifestations des Gilets Jaunes. Pour l'avenir des travailleur-ses et un avenir meilleur en somme, comme dirait un fameux slogan. "Déjà qu'iels nous ont retiré la pénibilité", fait-elle remarquer (les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et le risque chimique ne font plus partie des critères de pénibilité, NDLR).

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Des étudiant-es évoquent la loi LPR, des Gilets Jaunes demandent aux forces de l'ordre de danser La Macarena. ©LaMeute - JeanneActu

Jour de manif : peur et fatigue mentale

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"On a beau crier, le gouvernement ne nous entend pas. Les manifs' ça sert à rien, j'en ai bien conscience...", avoue Isabelle Walbert. Au même moment, des agents de la CSI (Compagnies de Sécurisation et d'Intervention) traversent le cortège pour procéder à une interpellation. C’est comme s’il y avait deux polices intervenant sur la même manifestation. Tandis que la gendarmerie se contentait d’encadrer la marche en se plaçant de part et d’autre du cortège, les CSI et la BRAV-M n’ont cessé d’harceler la foule par des charges tout au long de l’après-midi. Cette logique offensive à l’égard de manifestant-es a donné lieu à une violence disproportionnée. Charge sans aucune sommation, jet de grenades en pleine foule sans que les policiers ne soient en situation d'encerclement. La liste de ces exactions illégales ne fait que s’allonger et semble se banaliser chaque samedi. Nous pourrions nous demander pourquoi depuis le début de ce mouvement, les CSI chargent systématiquement des citoyen-es pacifiques ? Pourquoi les CSI procèdent à des interpellations aléatoires alors que ces marches sont déclarées et non-violentes ? Pourquoi les corps les moins formés parmi les éléments policiers présents lors des manifestations sont ceux qui prennent le plus de place au sein des manœuvres policières? Ces dernières semaines de plus en plus de policiers semblent faire fi des conditions d’utilisation de leurs équipements, ne faisant que radicaliser/violenter des citoyen-nes venu-es crier dans la rue ce que l’on tente de censurer à l’Assemblée. 

Arrivé au boulevard Ménilmontant, la situation se tend encore. Vers 15h, une stratégie du maintien de l'ordre semblable à celle du 12 décembre dernier se met en place : des charges latérales répétées, parfois concomitantes, toujours perçues comme injustes. Les manifestant-es ne savent plus où se réfugier. 

La CSI a été particulièrement virulente. ©LaMeute - JeanneActu

La CSI a été particulièrement virulente. ©LaMeute - JeanneActu

La sono, qui passait quelques instants auparavant Jour de manif du rappeur Youri, s'est éteinte. Laura l'avoue, si elle a choisi ce vers -tiré d'un poème qu'elle a trouvé sur le compte Instagram d'une activiste- c'est à cause "de cette phase d'entre-deux dans laquelle se trouve les mouvements sociaux qui ont tendance à s'affaiblir à cause la peur". 

Sur l'avenue de la République, on aperçoit un gendarme, une télécommande dans la poche avec un gros "Télépilote Drone" inscrit. D'autres, filment le cortège avec des caméras à la main. Alors que le cortège arrive sur la place de la République vers 15h40, on finit par s'apercevoir que les tambours tenus par deux manifestants depuis le début de l’après-midi sont incrustés de sang. On s'habitue à tout. Surtout au pire. 

Place à la musique

Les prises de parole organisées par la coordination laisseront, peu de temps après, la place aux sound system. Une buvette et un stand de prévention sur l'usage des drogues a également été mis en place par le collectif Techno + sur la place de la République. Le collectif Maskarade en profite pour saluer le "mouvement unitaire” qui s'est créé depuis la répression de la free party du nouvel an en Bretagne. Sous les applaudissements nourris, un porte parole déclare : "le procureur de Rennes utilise la crise sanitaire pour justifier sa croisade contre les teuffeur-ses. (...) Sans honte, il voudraient nous faire porter le fardeau de la mort de nos ancien-nes”. Quand la musique démarre, une femme, sac de shopping en main -peu probable qu'elle ait participé à la manifestation, s'approche tout de même, sourire revanchard aux lèvres. 

Sans honte, il voudraient nous faire porter le fardeau de la mort de nos ancien-nes
— collectif de soutien à la maskarade

Sous le mot d'ordre "Free party is not a crime" en référence aux neuf personnes interpellées suite au Nouvel an, la fête du jour était aussi l'occasion de rendre hommage à Steve Maia Caniço, mort en 2019 à Nantes. "Aujourd'hui, les basses font trembler la ville de Paris. Mais demain, c'est Macron qui tremblera... Pas de justice, pas de paix !", rappelle le collectif de soutien à la Maskarade.

Comme l'explique Nicolas Mollé dans Tout le monde sait qui a tué Steve, le milieu des free party s'est régulièrement allié à des initiatives militantes, comme en 1997 contre un projet de centrale nucléaire. 

"Je voudrais finir par un message personnel, sans lire le communiqué", glisse le porte-parole de la Maskarade. "Ce n'est pas normal d'avoir peur. [Pourtant] cela fait des années que je fais des manifs', cela fait des années que je fais des teufs". Tétanisé par la peur, le mouvement social ne s'essouffle pas, il cherche à se renouveler. Grève, blocage, manif sauvage et free party

©LaMeute - Mes

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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 5 personnes et environ 19h de travail.

- Photos : Ibnou, JeanneActu, Tulyppe;

- Relecture : Graine et Ibnou;

- Texte et Mise en page : Mes,

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