Il y a 150 ans, les feux de la Commune pour éclairer le monde

Image issue du film de Peter Watkins La Commune (Paris 1871).

Image issue du film de Peter Watkins La Commune (Paris 1871).

Paris n’a jamais été rien d’autre au fond qu’une vaste poudrière. En un instant, en un seul souffle soudain, peuvent y sauter les cadres, les rôles, et les assignations : malheur à qui prétend y asseoir son pouvoir illégitime. Il traîne à Paris toutes les rengaines du monde, toutes les misères insensées, toutes les faims dévorantes qui au hasard des rues, dans un fracas de métal hurlant, se heurtent à toutes les opulences qui sont le propre de la bourgeoisie. Mendiant-es et nantis, migrant-es et dandys, se jettent du coin de l'œil des regards assassins ; Paris est le chaudron où “ceux qui réussissent” se goinfrent de “ceux qui ne sont rien”.


On garde de Paris, à travers cette cohabitation des classes sociales au fil des siècles, une imagerie intensément révolutionnaire - et ce non sans raison. Au sein de la mémoire collective, Paris prend les traits de Gavroche : c’est l’enfant éternel, éternellement révolté, préférant la mort à une vie de servitude. C’est le Paris des Misérables, celui des Sans-Culottes, celui des Gilets Jaunes. C’est le Paris des pavés qui volent, et fleurissent en parterres de barricades aux premiers jours du printemps. C’est le Paris qui incendie les hôtels particuliers, arrache les portails de la bourgeoisie et danse, jovial, sur les cendres de son Vieux Monde. C’est le Paris des jours de mai 68, de juin 48, de juillet 89.

Pris sous cet angle, Paris est aussi un rêve qui dura 72 jours. C’est un possible. Un espoir : celui de la Commune

Aux origines de la Commune de Paris

“La Commune de Paris”, c’est comme cela que l’on désigne la période allant du 18 mars au 28 mai 1871 durant laquelle les classes populaires de Paris, en armes et déterminées, tentèrent de mettre un terme à la misère et à l’exploitation sauvage auxquelles les classes capitalistes les avaient enchaînées. Il y a beaucoup de mythes et de légendes qui entourent ces événements - parfois relevant du faux, souvent relevant du vrai. En France et par-delà les frontières, ce sont des mythes fondateurs pour l’ensemble des courants de la “Gauche” qui lui survivent après 1871; et c’est pourquoi à LaMeute, on a voulu en parler rapidement.

Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut remonter au 4 septembre 1870. L’Empereur Napoléon III, qui s’était engagé dans une guerre -d’égo- avec l’armée allemande, est fait prisonnier à Sedan, bien loin de la capitale depuis longtemps acquise à la cause républicaine. Saisissant l’occasion, les classes ouvrières et des partis plus ou moins républicains proclament à Paris la IIIe République, et annoncent dans la foulée des élections législatives. A ce moment-là, Paris est déjà une poudrière : les prolétaires encore peu organisé-es s’entassent dans des quartiers misérables, où le travail peine à nourrir toutes les bouches, où l’on ne vieillit guère et où l'on survit tout juste. La République apparaît alors comme un vent nouveau pour des milliers de personnes, appelant à la liberté et à une vie meilleure.

L’armée allemande balaie très vite cet espoir, et assiège la ville jusqu’au mois de janvier 1871, le temps qu’un gouvernement de pantins ne lui convienne. Durant cette période, les classes ouvrières de Paris, affamées, apprennent à se défendre, prennent les armes et forment la Garde nationale. Lorsque le siège est levé, les armes, les gardes nationaux et la rancœur des vaincu-es sont toujours là, représentant un danger pour un gouvernement conservateur apeuré par les classes ouvrières. 

Dans la nuit du 17 au 18 mars 1871, ordre est donné par Adolphe Thiers, chef du gouvernement, de se saisir des canons de la Garde postés sur les hauteurs de Belleville, Ménilmontant et Montmartre. Les femmes de ces quartiers populaires s’interposent dans ce qui aurait dû être un massacre : c’est l’acte même de naissance de la Commune.

L’armée désobéit - fusille au passage des officiers - et rien alors ne peut plus arrêter le processus. 

Dans la panique, la bourgeoisie déserte la capitale et rejoint le gouvernement de Thiers à Versailles, tandis que les classes populaires font flotter le drapeau rouge sur l’Hôtel de Ville de Paris. Dans les jours et les semaines qui suivent, on organise des élections sans critères de revenus ou de nationalité. L’exclusion des femmes, hélas, perdure, en dépit de l’organisation massive de ces dernières, et leur active participation à la défense de la Commune jusque sur les barricades. 

L’insurrection est alors représentée par une assemblée de partisans de toutes les sensibilités de la Gauche de l’époque ; politiciens aguerris mais aussi ouvriers, artistes, artisans, instituteurs, soldats… Derrière les barricades, on invente un nouveau monde dans lequel les officiers sont élus au sein de la troupe, où l’on suspend les loyers, où l’on réquisitionne les églises pour le bien commun, de même que pour les ateliers. La France entière a les yeux braqués sur Paris, et des villes comme Lyon, également très ouvrière, sont elles aussi au bord de l’explosion.

Au-dehors des fortifications de Paris, une guerre fait rage entre l’armée régulière des “Versaillais” et l’armée Communarde. Une guerre inégale, qui courre à la défaite. Le 21 mai, les Versaillais pénètrent dans Paris par les riches quartiers de l'ouest de la ville. Durant 7 jours, elle commet massacre sur massacre, arrêtant et fusillant au hasard ; les pavés de Paris se couvrent du sang des Communard-es. Dans le chaos, tout est incendié -de l’Hôtel de Ville à l’hôtel particulier de Thiers. Des dizaines de milliers de personnes succombent à la répression, et les cimetières parisiens ne sont d’ailleurs pas assez grands pour un pareil charnier. 

Le 28 mai, au terme de ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de “la Semaine Sanglante”, la Commune de Paris s’éteint dans les quartiers mêmes où elle naquit.

Après la Commune, “gare à la revanche”

A chaque massacre ses survivant-es, sinon comment pourrait-on les raconter ? Malgré la répression, de nombreux-ses Communard-es survivent, soit dans l’exil, soit dans la déportation de force. Ce sont leurs témoignages qui forgent la légende de la Commune. Parmi les plus connus, il y a ceux de Louise Michel, institutrice anarchiste et figure emblématique de la révolte. 

A son retour du bagne après avoir été condamnée pour ses faits d’armes, Louise Michel réapparaît à Paris lors d’une manifestation de “sans-travail”. Elle y arrache un pan de son jupon noir, l’accroche à un manche à balai, et explique quelques jours plus tard : 

“Plus de drapeau rouge, mouillé du sang de nos soldats. J’arborerai le drapeau noir, portant le deuil de nos morts et de nos illusions.” 

L’anarchisme tel qu’il se théorise à l’époque se dote enfin d’un drapeau.

D’autres sont moins évidents, et pourtant plus profondément ancrés dans l’imaginaire collectif. Ainsi, on doit L’Internationale, véritable hymne du prolétariat organisé, à Eugène Pottier, poète et Communard fugitif.

Les divergences entre les différents courants du socialisme (polarisés entre révolutionnaires et réformistes) s’affirment avec plus de dureté dans l’après-1871. Pour les révolutionnaires, la Commune a ouvert la voie à l'avènement du communisme, à la grève générale et à la conscience de soi vers un autre monde possible ; tandis que les réformistes y voient précisément ce qu’il ne faut sous aucun prétexte reproduire, à moins de n’abandonner le prolétariat aux massacres et aux bains de sang. Après la Commune, le divorce entre ces courants est consommé.


La forme organisationnelle de la Commune est restée jusqu’à aujourd’hui encore un modèle à compléter, à rejouer à chaque mouvement social comme autant de revanches pour les morts de 1871. Les Soviets de 1917 entendent reprendre le modèle électoral de 1871, fondé sur l’union des prolétaires sur le plan local, en conseils ouvriers, paysans et militaires ; ils concrétisent par ailleurs le souhait d'une partie des Communard-es de s’allier en une fédération de conseils ouvriers à travers tout le pays. La légende raconte même que Lénine dansa pieds nus dans la neige lorsque la révolution bolchevique dura plus de 72 jours.

Le mot de “Commune” accompagne également les grandes expériences d’autogestion des classes ouvrières. Ainsi les villes de Nantes et du Havre se renomment-elles “Communes” au plus fort de Mai 1968. Et 50 ans plus tard, les facs occupées et organisées en “assemblées générales étudiantes” prennent elles aussi le nom de “Communes” tandis qu’elles sont vent debout contre la réforme instaurant la sélection à l’université.

Les mêmes références se trouvent également du côté de la bourgeoisie dès lors qu’il est question du sort qu’elle réserve à celles et ceux qui brisent leurs chaînes. Aussi se rappelle-t-on de Christophe Barbier adulant Macron et le comparant à Thiers en pleines grèves contre la réforme des retraites en 2020.

La Commune est un souvenir à réinvestir pour ne pas perdre de vue qui nous sommes dans notre Histoire, avec un grand comme un petit “H”. Passé de 150 ans, c’est le premier jalon vers des possibles meilleurs, et chaque mouvement que nous faisons nous rapproche un peu plus de ces hommes et de ces femmes qui réinventèrent nos “demains”.

Pour en apprendre plus sur la Commune :

A lire, en vrac :

  • LOUISE MICHEL, La Commune

  • KARL MARX, La Guerre civile en France 

  • ERIC FOURNIER (historien, spécialiste de la Commune)

  • LUDIVINE BANTIGNY, La Commune au présent: Une correspondance par-delà le temps

  • MICHELE AUDIN, La Semaine Sanglante

  • QUENTIN DELLUERMOZ, Le Crépuscule des révolutions (1848-1871)

A voir :

  • FILM / PETER WATKINS, La Commune (Paris 1871)

  • Twitch / NOTA BENE émission avec Eric Fournier le 23 mars 

©LaMeute - Graine

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MERCI POUR VOTRE LECTURE


La réalisation de ce reportage a nécessité 3 personnes et environ 10h de travail.

- Texte et Photos : Graine;

- Relecture : Stuv;

- Mise en page: Mes.

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