Gilets Jaunes, Acte 4 - Partie 1/4 : "La semaine on bloque nos lycées, le week-end tout Paname"

 

Il y a eu un acte 1, il y'a eu un acte 2, il y'a eu un acte 3 et, inévitablement, il y aura un acte 5. En cela, le rôle de cet acte 4 - comprendre quatrième samedi de mobilisation - est central : son contexte semble en effet marquer toujours plus la rupture dans le rapport entre le pouvoir politique et la population française. Plus que celle des ”Gilets Jaunes”, dans ce qu'en entendent certains médias, à savoir une partie de la population française ne protestant que contre la hausse du prix des carburants, la mobilisation de ce samedi était l'aboutissement d'une semaine complète de mouvements sociaux, notamment chez la jeunesse.
Cette jeunesse qui s’est, au cours de la semaine, mobilisée à travers la France, bloquant les lycées, occupant les facs, organisant des rassemblements devant des lieux symboliques politiquement parlant. Nous sommes en effet au début d’une grande mobilisation contre la hausse des coûts d’inscriptions à l’université pour les étudiant·es étranger·es hors-UE. La journée de jeudi cristallise en elle seule ce qui s’est passé pendant cette semaine intense : outre les blocages de nombreux lycées dans Paris sa région, les blocages plusieurs universités, dont le centre Censier de l’université Paris 3, le prestigieux centre Sorbonne ou encore la fermeture administrative du centre Tolbiac de Paris 1, un rassemblement devant Campus France était organisé pour protester contre cette nouvelle mesure touchant à l’accès à l’enseignement supérieur.


Mais cette journée aura également été marquée par la répression. Si l’on ne devait retenir qu’une image de cette répression, ce serait celle du lycée Jules Ferry à Mantes-la-Jolie dans les Yvelines, où 151 personnes ont été interpellées. Mais plus que le nombre, c’est la manière qui choque. Ces lycéen.ne.s ont été placées à genou, mains sur la tête, filmé.e.s par les policiers chargées de l’interpellation, vidéo accompagnée de commentaires abjectes de la part des forces de l’ordre. La vidéo, reprise par de nombreux médias et partagées massivement sur les réseaux sociaux a provoqué une forte indignation parmi leurs ainé.e.s mais également chez les autres lycéen.ne.s de France. « Ici, les paroles de Georges Moustaki prennent un sens quasi prophétique C’est elle que l’on matraque, que l’on poursuit que l’on traque »« qui nous donne envie de vivre, nous donne envie de la suivre, jusqu’au bout ». La violence de la répression opposée à la jeunesse marque en effet une fracture définitive entre le gouvernement et une partie de la jeunesse, et par là avec une partie de la population plus grande.


Au delà de cette semaine de mobilisation, la présence médiatique des élu.e.s LREM et autres membres du gouvernement, qui, dans une forme de comédie burlesque, ne semblent pas capables d’entendre la population, préférant s’émouvoir de quelques graffitis sur l’arc de triomphe que sur des corps, des vies brisées par leur police. Le gouvernement est il allé trop loin ? C’est ce que l’on peut se demander quand on sait que Emmanuel Macron a déclaré que son gouvernement abandonnait ce projet de hausse du prix des carburants pour l’année 2019, chose confirmée jeudi soir par Edouard Philippe au micro de TF1. Malgré ce recul du gouvernement, la mobilisation ne s’est pas estompée, loin de là. Selon les mots de Monique Pinçon-Charlot, sociologue connue pour son travail sur la bourgeoisie française, et comme cela a déjà pu être constaté, expliqué, décrit par d’autres figures à l’image de Youcef Brakni ou de Edouard Louis, la mobilisation des gilets jaunes a dépassé la simple question du prix des carburants et s’inscrit dans ce qu’elle définit non plus comme une lutte des classes, mais comme une guerre des classes, que la “classe dominante”, celle du pouvoir politique, des grands patrons, … mène contre les populations, non pas seulement les plus précaires, mais contre toutes celles qui ne sont pas leurs alliées. Le mouvement des gilets jaunes constituerait-il la réponse de la “classe dominée” ?


Pourquoi donc faire ce retour sur la semaine qui a précédé les mobilisations de ce samedi ? Et bien si nous choisissons de commencer par revenir sur cette semaine et notamment sur les journées de Jeudi et de Vendredi, c'est parce qu'elles ont marqué la réactivation des mouvements sociaux plus traditionnels, particulièrement parmi les lycéen.ne.s et les étudiant.e.s et que cela a eu une influence certaine sur le quatrième acte du mouvements des gilets jaunes.

 

UNE LUTTE CONTRE TOUTE FORME DE SELECTION DANS L'ENSEIGNEMENT

 

La lutte contre la sélection n'est pas finie pour la jeunesse, loin s'en faut. Elle a même pris une nouvelle tournure avec le projet du gouvernement de faire augmenter les coûts d'inscription dans les Université pour les étudiant.e.s étranger·es hors Union Européenne. Cette annonce a entraîné immédiatement une mobilisation dans la plus part des universités, notamment dans les université parisiennes. À cela, il nous faut ajouter la reprise de la lutte dans les lycées contre la plate-forme ParcourSup et la réforme du baccalauréat, qui sont toutes deux des dispositifs pris au cours de cette année, instaurant, ou plutôt renforçant une sélection déjà bien présente à l'entrée des études supérieures. Les lycéen.ne.s ont en effet, et ce depuis plus d'une semaine, multiplié les blocages, toujours sous une forte répression de la part des forces de l'ordre et une fin de non recevoir de la part du gouvernement.
Les journées de jeudi et de vendredi peuvent être vue comme les plus intenses de cette semaine en ce qui concerne ces mobilisations. Si la journée de jeudi a vu, de ces blocages, naître un rassemblement et une manifestation sauvage celle de vendredi était forte en symboles.

Les lycéen.ne.s avaient en effet en tête les images de l'interpellation de leurs camarades de Mantes-la-Jolie, survenue la veille. De nombreux lycées parisiens avaient appelé au blocage et, dès 7h30, le ballets de ces jeunes mobilisé.e.s commence, s'organisant pour bloquer leur lycées. Les blocages effectifs, les administrations des différents établissements réagissent de différente manière : d'un côté on reste impuissant.e.s face aux événements, pour d'autres on attend que la police fasse son travail, sans tenir compte de la violence de cette police qui réprime sévèrement toute forme de mobilisation depuis le début de la semaine, comme à son habitude.

Deux lycées montrent bien la diversité des réactions, mais également les différences en matière d'intervention policière. Le premier, le lycée Jules Ferry, se retrouve davantage dans la première catégorie : malgré le blocage et sa réussite, l'administration refuse de banaliser les cours pour la journée, sous le regard de 4 policiers, présents pour observer la situation. L'autre, le lycée Edgar Quinet serait plus de la deuxième catégorie : la présence policière y est en effet plus forte, principalement dans les rues alentours, prête à intervenir à tout moment. Ce ne sera qu'aux alentours de 10h40 que la police se décidera à intervenir, en chargeant ces jeunes lycéen.ne.s, réussissant ainsi à les disperser.

Du côté des universités, il faudra noter la fermeture administrative de plusieurs centre de l'université Paris 1, certains comme Tolbiac dès le matin et le centre Sorbonne suite à la volonté d'étudiant.e.s d'organiser une AG, d'abord sur la place de la sorbonne, puis dans le centre lui même, nous renvoyant à des souvenirs du printemps dernier.

Les lycéen.e.s, après avoir bloqué, sont quelques centaines à avoir choisi de se retrouver à 11h à Stalingrad, pour une manifestation qui s’élancera vers République. Cette manifestation se déroulera dans le calme, accompagnée de divers slogans comme « Macron Démission » ou contre la réforme ParcourSup.


Arrivé République, la situation se tend un peu, après la décision d'une partie des manifestant.e.s de se mettre à genou, les mains sur la tête, en référence aux faits de Mantes-la-Jolie. Plus tard, la tension monte d'un cran, autour d'une poubelle en feu, qui sera au centre d'un face à face entre les manifestant.e.s et les forces de l'ordre, qui finiront par battre en retraite.

 

ORGANISER L'INORGANISABLE ? ASSEMBLÉE GÉNÉRALE À LA BOURSE DU TRAVAIL

 

La veille au soir, à la Bourse du Travail de Saint-Denis, se tenait une assemblée générale pour organiser les événements du samedi à venir. Le 3e acte des gilets jaunes a en effet vu naître une nouvelle alliance, un « nouveau cortège » au sein des Gilets Jaunes. Cette nouvelle alliance est née de l'appel commun du Comité pour Adama (La vérité pour Adama), des Cheminot.te.s de l’intergare (Cheminots de l'Intergare), mais également du CLAQ (CLAQ, de l'AFA (Action Antifasciste Paris-Banlieue), et de la Plateforme d'Enquêtes Militantes, à un départ commun depuis la gare de St-Lazare, rapidement rejoints par d'autres partie du mouvement social traditionnel comme les étudiant.e.s. L'idée de cette alliance était née, il fallait maintenant l'entretenir.

C'était là le but de cette assemblée générale, qui, en présence des différentes forces s'étant retrouvées pour ce départ commun, souhaitait organiser davantage le quatrième acte à venir de ce mouvement qui les a réunis. Car leur présence est hautement nécessaire, tant d'un point de vue symbolique, pour représenter des parties non représentées de la société par les gilets jaunes, que politique, privant l'extrême droite de son emprise revendiquée mais infondée sur le mouvement, reprise par les opposant.e.s pour décrédibiliser le mouvement.

Dans cette AG, il a donc été question de l'organisation du cortège à venir pour samedi, mais également des droits pour les étudiant.e.s hors UE inscrit.e.s dans des facs françaises.

Parmi les intervenant.e.s, il faut noter le Collectif des Femmes en Luttes du 93, qui annonce son choix de rejoindre le mouvement, non pas pour y adhérer, mais pour combattre ce qui doit y être combattu, le sexisme, l'homophobie. C'est dans une volonté combative, une idée de lutte, que s'est déroulée cette réunion, car, il ne faut désormais plus le cacher, nous sommes en lutte avec le pouvoir politique, contre la classe dominante.

C'est donc dans ce contexte politique dense et tendu qu'a eu lieu le quatrième acte du mouvement des Gilets Jaunes, ce qui en a de manière conséquente, modifié la structure et le déroulement.

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