« La mort d’Angelo c’est une exécution légale au pays des droits de l’homme » - Un procès pour Angelo – Marche du 27 juin 2020

Fin juin, après un report initial de juin à septembre, la Cour de Cassation a finalement rendu une notification indiquant une non-admission du pourvoi. Le collectif Justice pour Angelo a immédiatement dénoncé une décision aussi lapidaire qu’arbitraire, officialisant le non-lieu justifié par l’application inédite de l’article L435-1 du Code de la Sécurité intérieure sans autre forme de procès ; cette modification de la loi qui élargissait le recours aux armes pour les forces de l’ordre (et donc la légitime défense) avait eu lieu un mois avant la mort d’Angelo sous les balles d’une antenne locale du GIGN. Ce samedi, les proches et la famille d’Angelo Garand avait organisé une marche en sa mémoire. Avec cette annonce, c’est avec rage et amour que les soutiens venus de partout ont marché pour Angelo, et pour toustes les autres.

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« Aujourd’hui, c’est fini la France pour nous » : les premiers mots d’Aurélie Garand, la sœur d’Angelo, au micro ce samedi après-midi à Blois retentissent fort.

L’absence de procès par la justice française (premier non-lieu en octobre 2018, non-lieu en appel en février 2019 et, trois jours avant cette commémoration, la non-admission du pourvoi par la Cour de Cassation) dans la mort de son frère, Angelo, 37 ans, sous les balles d’une antenne locale du GIGN en 2017 la pousse désormais à se tourner vers la CEDH [Cour Européenne des Droits de l’Homme, NDLR].

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Une semaine auparavant, nous marchions aux côtés de la famille Dieng qui a dû recourir, elle aussi, à la CEDH après que toutes les voies de recours ont été épuisées en France en conduisant à un non-lieu dans la mort de Lamine, mort dans un fourgon de police en 2007. La famille a dû être endurante et souffrir 13 ans de procédures judiciaires et d’affirmations de non-lieu. Ramata Dieng est présente aujourd’hui aux côtés d’Aurélie et du collectif Justice pour Angelo.  

La Marche de ce jour a pour point culminant le Palais de Justice de Blois car, comme le rappelle Aurélie : « Même si on a ne nous a pas rendu justice en France, il ne faut pas oublier que les tribunaux sont à nous, ça nous appartient aussi ! »

Comme toujours, il faut inlassablement, courageusement, énoncer le récit de la mort de la victime des forces de l’ordre : « ce n’est rien d’autre qu’une exécution ce qu’il s’est passé ce 30 mars 2017 » résume Aurélie. Il faut revenir sur chaque détail pour comprendre l’horreur : « ils ont menotté mon frère après sa mort ! »
Angelo était en permission, il purgeait une peine. Il n’est pas rentré de cette permission. « On court tant qu’on peut » a-t-il glissé à Aurélie la dernière fois qu’iels discutaient.

“Le GIGN a tué mon tonton” dit la pancarte de l’un des enfants de la famille Garand. “Pas de Justice, Pas de Paix!” scandent-iels. Tout l’après-midi, iels mèneront la marche avec une détermination sans faille pour leur jeune âge, réclamant Justice e…

“Le GIGN a tué mon tonton” dit la pancarte de l’un des enfants de la famille Garand. “Pas de Justice, Pas de Paix!” scandent-iels. Tout l’après-midi, iels mèneront la marche avec une détermination sans faille pour leur jeune âge, réclamant Justice et Vérité pour leur père/oncle. ©LaMeute - Jaya

Le GIGN local, (nommé AGIGN en 2016 – antenne GIGN, qui est une unité de la gendarmerie), a été envoyé alors qu’Angelo était à table avec sa famille, chez ses parents, avec le fils d’Aurélie (3 ans en 2017) et toute sa famille. Il se cache dans une remise, appelée la grange par la famille ; le GIGN fouille la maison, la famille se retrouve plaquée au sol “mis en joue, jeté•s à terre, menotté•es” écrivait le collectif dans un communiqué ; un bruit fait pénétrer l’AGIGN dans la grange.

« Ils ont tiré 5 balles dans le corps de mon frère ! » rage Aurélie au micro. « Cœur, foie, poumon, rein. 5 balles dans ses organes vitaux ». Si l’AGIGN affirme avoir effectué une première sommation dans la grange ce 30 mars 2017, Aurélie rétorque :

 Il y avait mon père à 5 mètres. Il n’a rien entendu à part le dernier souffle de son fils ! La première juge s’est déplacée sur les lieux ; elle a vu que s’il y avait eu sommation, toute la famille l’aurait entendue !

La mise en examen a eu lieu six mois après les faits, au soir du déplacement de la première juge sur les lieux (avant que cette dernière ne soit mutée) et de l’audition des deux tireurs; Aurélie s’effare que ces militaires soient encore en fonction aujourd’hui.

« Il n’y a pas d‘accès aux droits, pas de dignité pour nous en France » 

Le Palais de Justice de Blois et une pancarte accrochée sur ses barreaux : “18 septembre 1981 - abolition de la peine de mort”. ©LaMeute-Jaya

Le Palais de Justice de Blois et une pancarte accrochée sur ses barreaux : “18 septembre 1981 - abolition de la peine de mort”. ©LaMeute-Jaya


Les rapports décrivent Angelo comme une personne « issue de la communauté des gens du voyage », le décrivant comme dangereux, pour justifier la violence de l’attaque, comme il est de mise dans les affaires mettant en cause les membres de forces de l’ordre ; face à l’argumentaire qui consiste à dire que « Si on fait intervenir le GIGN c’est que votre Angelo n’était pas un ange » Aurélie répond cet après-midi au micro  en dénonçant le racisme de ces criminalisations systématiques : « Nous n’avons jamais prétendu le contraire !! Oui, il a été incarcéré pour délits mineurs mais il n’a jamais tué personne, lui ! C’est parce qu’on est gens du voyage qu’on nous envoie GIGN – ces antennes ont été créées en 2016 – et mon frère est abattu en 2017 ! (…) Ils l’ont allongé avec son couteau… Oui Angelo avait un couteau sur lui ! Mais ce jour-là, tout le monde avait un couteau… Alors tout le monde aurait pu être tué ? » lance Aurélie.

La famille n’a de cesse de dénoncer le racisme dans cette procédure.
Anina Ciuciu, avocate, première candidate Roms aux sénatoriales de 2017 et autrice du livre Je suis tzigane et je le reste, présente ce jour, remercie chaleureusement Aurélie pour sa dignité et la lutte qu’elle mène, « de la force pure »  : « Aujourd’hui je tiens à prendre la parole en tant que femme gitane (…) moi, je suis entrée en France et la première expérience c’est des policiers qui ont tabassé mon père ; ils ont mis son visage en sang. C’est ça la police en France. (…) On meurt, non seulement de la police, mais aussi dans des aires d’accueil polluées, il n’y a pas d’accès à l’école, il n’y pas de Justice pour nous en France ; il n’y a pas d‘accès aux droits, pas de dignité pour nous en France ! Ca fait 5 siècles qu’on vit le racisme en tant que Roms, gitans, manouches ; je pense aux camps d’internement et j’ai une pensée pour Raymond Gurême, qui aurait été là pour se battre à nos côtés. »     

Anina Ciuciu, Awa Gueye, Aurélie Garand et Yamina D. ©LaMeute - Jaya

Anina Ciuciu, Awa Gueye, Aurélie Garand et Yamina D. ©LaMeute - Jaya

Aurélie rend hommage également à une autre victime :  Henri Lenfant, 23 ans, père de deux enfants, tué par balle du GIGN en septembre 2018 dans le nord de la France : « Dans la nuque, ils ont tiré !! » s’insurge Aurélie.

« Le permis de tuer est instauré avec le sang d’Angelo »

Aurélie le répètera plusieurs fois cet après-midi: « La mort d’Angelo c’est une exécution légale au pays des droits de l’homme »
C’est la légitime défense qui sera invoquée pour refermer le dossier sans même un procès, mais pas n’importe laquelle ; la légitime défense élargie par l’article L435-1 du code de sécurité intérieure, votée un mois avant la mort d’Angelo.

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Alors que les forces de l’ordre tentent de faire pression sur le gouvernement en campant, cagoulées, devant des médias, devant la Préfecture de Strasbourg (au lendemain de la condamnation du policier qui avait matraqué Marlène Lutz, retraitée, durant une manifestation de Gilets Jaunes en janvier 2019)  ou d’autres lieux symboliques, Munia, l’une des membres du collectif Justice pour Angelo, rappelle :

Cette loi a été obtenue au moment de ces manifestation de policiers illégales qu’on a laissé se faire aussi à l’époque.
— Munia, membre du collectif pour Angelo

L’une de leurs ‘exigences’ actuelles concerne notamment la réécriture de la note de mars 2015 qui leur permettrait de prendre en chasse des véhicules et ils ont pu l’exprimer récemment au préfet de police, D. Lallement. De quoi s’inquiéter…

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Après la violence de cette opération des forces de l’ordre du 30 mars 2017 et l’arrachement du deuil, la famille a dû affronter la bataille judiciaire ; la première juge qui avait mis en examen deux membres du GIGN de Tours, après avoir fermé l’instruction en janvier 2018, est mutée et la nouvelle juge – « nommée pendant l’été sans qu’on soit averti•es » – ordonne, sans aucune cohérence avec le travail de sa consœur, un premier non-lieu à l’automne. Il est confirmé en appel en février 2019.

Et fin juin, la Cour de Cassation ne reçoit pas le pourvoi; cette procédure de « non-admission », instituée en 2001,  plus simple, plus rapide, induit que la Cour n’a pas besoin de motiver sa décision (contrairement au rejet du pourvoi).

Lorsque le cortège qui rend hommage à Angelo ce 27 juin 2020 arrive devant le Palais de Justice de Blois, Munia lit cette notification lapidaire reçue quelques jours plus tôt :

« Au nom du peuple français – alors vous allez nous dire si vous êtes d’accord avec ça, je ne sais pas si vous êtes d’accord, je ne sais pas si vous êtes le peuple… – après avoir examiné tant la recevabilité des recours que les pièces de procédure, la Cour de Cassation constate qu’il n’existe en l’espèce aucun moyen de nature à permettre l’admission des pourvois. Et c’est tout… »

« Le permis de tuer est instauré avec le sang d’Angelo » résumait Aurélie la veille du rassemblement. Symboliquement, elle verse du faux sang devant le Palais de Justice de Blois. « Quand ils blessent, ça menace tout le monde ! »

« Le permis de tuer est instauré avec le sang d’Angelo ». Aurélie Garand verse du faux sang devant le Palais de Justice de Blois. ©LaMeute - Jaya

« Le permis de tuer est instauré avec le sang d’Angelo ». Aurélie Garand verse du faux sang devant le Palais de Justice de Blois. ©LaMeute - Jaya

L’effroi du collectif est d’autant plus fort que cette décision, qui confirme donc le non-lieu en France, pourra servir de jurisprudence dans d’autres affaires de personnes abattues par les forces de l’ordre.

Ce qui ressort dans les prises de paroles de cet après-midi, c’est aussi les déséquilibres dans les procédures judiciaires. Une succession de décisions bureaucratiques, qui se prennent sans que la famille ait l’impression qu’on l’entende : « les témoignages de la famille n’ont pas été pris en compte » souligne plusieurs fois Aurélie.

Alors que très peu de médias sont présents pour couvrir ce rassemblement, Ian B du collectif Désarmons-Les rappelle à quel point l’avocat des gendarmes mis en cause dans la mort d’Angelo, Me Liénard, a pignon sur rue (voir le portrait de Désarmons-Les ici) :

 c’est lui qui dit sur un plateau TV que son client est effondré parce qu’il ne peut plus étrangler des gens...

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« ON LUTTE POUR TOUS•TES »

« La vérité c’est qu’on est tous•tes potentiellement mort•es car potentiellement dangereux•euses ; on est tous•tes potentiellement mort•es avec cet article de loi ; on peut vous tuer ! » prévient Aurélie, place Louis XII aux passant•es attablé•es en terrasse ou faisant leur shopping. « Vous avez des gens qui se battent pour le droit de vivre et d’autres pour tuer en tout impunité ;  ça peut vous arriver demain »

Awa Gueye exige qu’une reconstitution ait lieu dans la mort de son frère, Babacar, en 2015, lui aussi abattu par la BAC de Rennes. ©LaMeute - Jaya

Awa Gueye exige qu’une reconstitution ait lieu dans la mort de son frère, Babacar, en 2015, lui aussi abattu par la BAC de Rennes. ©LaMeute - Jaya

D’autres collectifs sont venus de partout en France comme Yamina, de Lyon, qui se bat pour que la vérité soit faite sur la mort de son frère Mehdi en 2016 : « c’est notre droit à la vie qui est en jeu en fait ». Elle évoque la bataille pour porter plainte après la mort de son frère. Et la connivence des membres judiciaires, censés enquêter les un•es sur les autres, et donc, la fabrique de l’impunité des forces de l’ordre : « je ne prendrai pas de plainte car ce sont mes collègues … voilà ce qu’on m’a répondu ! Et derrière, on donne le dossier aux mêmes pour juger leurs collègues… On ne scelle pas le scoot ni la voiture de police qui a pare-choqué mon frère. » Des pièces sous scellées ont aussi été « détruites par erreur » selon les autorités, dans l’affaire de la mort de Babacar Gueye en 2015, abattu par la BAC de Rennes. Sa sœur, Awa, sillonne la France sans relâche pour raconter son histoire et réclamer justice.  Elle est aussi présente aujourd’hui.

Ramata Dieng le rappelle, avec une aigre ironie : « au moins avec, la peine de mort il y avait un procès… (…)Pendant le confinement, il y a eu 10 morts dont 4 gardés à vue !!! (…) Les magistrats, systématiquement, protègent les criminels parce qu’ils portent l’uniforme de la police ; les preuves, les témoignages ne suffisent pas aux magistrats pour qu’ils ouvrent des procès. On en est à seulement exiger une ouverture de procès. On continuera à se battre parce qu’il s’agit d’un modèle de société que nous allons léguer à nos enfants. (…)».  

Ian B, dans un discours poignant, détaille pourquoi l’abolition de la police est la seule solution pour reprendre en charge nos vies.

Le collectif Cases Rebelles proposait une traduction de cette tribune publiée sur le New York Times par Mariame Kaba, le 12 juin 2020, disponible ici : https://www.facebook.com/search/top/?q=collectif%20cases%20rebelles%20tribune%20new%20york%20times&epa=SEARCH_BOX

« La confrontation sera inévitable ; ils ne veulent pas déconstruire ? On va détruire ! Après la colère, il y a la haine … S’il y a une dernière sommation, c’est bien celle-là ! » résume un membre de l’Assemblée des Blessé•es ce 27 juin 2020.

La marche cette année est très encadrée : police municipale, police nationale et policiers en civil. Aurélie s’adressera directement à eux en fin de Marche : “et ça ricane… Mais nous on restera dignes !” ©LaMeute - Jaya

La marche cette année est très encadrée : police municipale, police nationale et policiers en civil. Aurélie s’adressera directement à eux en fin de Marche : “et ça ricane… Mais nous on restera dignes !” ©LaMeute - Jaya

« Ses enfants avaient besoin d’Angelo, nous on en avait besoin … Et ça ricane » Aurélie s’adresse à ces policiers, les lèvres serrées et restant digne, aux policiers, nombreux, de la police municipale, de la police nationale, certains en civil mais armes bien visibles, qui encadrent la marche cette année. Ils esquisseront souvent des sourires alors que les familles expriment leurs douleurs et leur colère.

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La Marche prend fin par un lâcher de ballons blancs en mémoire d’Angelo. Ce qui reste aussi de cet après-midi, c’est la solidarité entre les familles, les embrassades chaleureuses, le soutien. Parce que, comme crié à plein poumon aujourd’hui:

« Quand on marche pour Un•e, on marche pour Tous•tes ; quand on lutte pour un•e, on lutte pour Tous•tes. »  

©LaMeute - Jaya

[ Pour aller plus loin, voir ce bel article publié sur La Rotative : https://larotative.info/mort-d-angelo-garand-l-etat-3869.html ]
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Merci de nous avoir lu•es

La réalisation de ce reportage a nécessité deux personnes et environ 24h de travail cumulées.

Texte et reportage: Jaya

Photos: Jaya et Graine pour l’editing

Relecture: Mes et merci au collectif Justice pour Angelo

Mise en page: Jaya

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