13 ans après la mort de Lamine Dieng : une victoire, des embûches et un combat sans fin

Ramata Dieng, la soeur de Lamine, a réuni les familles de victime de violences policières autour du mot d’ordre “Laissez-nous respirer” pour mettre fin aux techniques d’immobilisation létales. ©LaMeute-Jaya

Ramata Dieng, la soeur de Lamine, a réuni les familles de victime de violences policières autour du mot d’ordre “Laissez-nous respirer” pour mettre fin aux techniques d’immobilisation létales. ©LaMeute-Jaya

Samedi 20 juin, le collectif Vies Volées organisait à Paris, une fois de plus, la marche commémorative annuelle pour Lamine Dieng -décédé dans un fourgon de police parisien, le 17 juin 2007. Plus d’un millier de personnes ont répondu présentes à l’appel pour honorer le combat de la famille Dieng -qui, après 13 ans de combat, vient de conclure un accord avec l’Etat français. “Un aveu de culpabilité” pour Ramata Dieng, qui n’efface cependant pas les affres d’un combat acharné pour obtenir Justice. Pour elle, comme pour les autres familles de victime de violences policières, le combat continue.

"C'est une victoire" rappelle Ramata Dieng, mais l’ambiance n’est pas à la fête. Sur la place de la République, ce samedi 20 juin, le collectif pour Lamine Dieng est entouré de “soldat·es”, comme le rappelle Assa Traoré. Il y a les proches de Lamine bien sûr, mais également les -trop nombreuses- familles de victimes de violences policières. 

Assa Traoré et Ramata Dieng militent toutes deux pour la fin de la clé d’étranglement. ©LaMeute-Jaya

Assa Traoré et Ramata Dieng militent toutes deux pour la fin de la clé d’étranglement. ©LaMeute-Jaya

Après 13 ans de combat judicaire, Ramata Dieng et les sien·nes ont accepté l’accord préalable proposé par l’Etat français, après que la famille ait saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme [la CEDH, NDLR] : un accord financier perçu, donc, comme “un aveu de culpabilité” pour la sœur de Lamine. 

Culpabilité de l’Etat mais quid des policiers ? 

Si l’accord entre sa famille et l’Etat français signe la fin des poursuites judiciaires, les policiers mis en cause, eux, n’auront jamais été condamnés.

Ce n’est pas l’instruction qui nous a permis d’avoir Justice; ce n’est pas la cour de Cassation qui nous a permis d’avoir Justice; il a fallu aller jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme”, rappelle -amère- Ramata Dieng.

La volonté des magistrat·es est de protéger les policiers et non pas la manifestation de la vérité
— Ramata Dieng

Le cortège, allant de la place de la République à Gambetta, marque un arrêt solennel et revendicatif près des lieux où, 13 ans plus tôt, un jeune homme de 25 ans du nom de Lamine Dieng est violemment interpellé, plaqué au sol, un soir d’été. Il décédera dans le fourgon qui le mène au commissariat de police. 

Qu’est-ce qui justifie que des policiers s’agenouillent sur un homme dont les bras et les chevilles sont entravés ? Rien”, déclare-t-on conjointement au micro et en langue des signes. Pourtant, malgré l’évidence, le combat a été semé d'embûches. C’est en 2014 qu’un premier non-lieu tombe. Il sera confirmé en 2017, dix ans après la mort de Lamine, par la Cour de Cassation. “La volonté des magistrat·es est de protéger les policiers et non pas la manifestation de la vérité”, résume Ramata Dieng.

Une prière, suivi d’un lâcher de ballons, se tient sur les lieux de l’interpellation de Lamine Dieng, il a 13 ans de cela. ©LaMeute-Jaya

Une prière, suivi d’un lâcher de ballons, se tient sur les lieux de l’interpellation de Lamine Dieng, il a 13 ans de cela. ©LaMeute-Jaya

Les couloirs obscurs des affaires judiciaires

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Aujourd’hui, on met en lumière le combat des toutes les familles

Le collectif Vies Volées

Aujourd’hui, on met en lumière le combat des toutes les familles”, clame-t-on à plusieurs reprises au micro, pour demander à la cohorte de journalistes présent·es de faire place à la banderole tenue par Assa Traoré, Khalil Choubi et Aurélie Garand (pour ne citer qu’elleux). Dans le sillage du travail de Vies Volées depuis 2010, de nombreux•euses représentant•es de familles de victimes sont effectivement présent•es lors de cette marche fédératrice, qui permet l’enchaînement de nombreuses prises de parole et qui dépeignent toutes, dans le fond, de l’état de la répression et du racisme à l’oeuvre en France. 

Ce qui ressort également des discours des collectifs, c’est l’impunité à l’oeuvre dans les affaires mettant en causes les forces de l’ordre; comme dans le cas de Lamine Dieng, le parcours judiciaire est parsemé d'embûches. 

Il y a d’abord les instructions lacunaires -souvent en défaveur des familles: demande d’accès aux vidéos refusée pour la famille d’Ibramah Bah, expertises médicales biaisées pour Adama Traoré (l’une d’elle se permet même d’évoquer “un sujet de race noir”), témoignages ne figurant pas au dossier dans le cas du décès de Liu Shaoyao.

On a toutes assisté à la scène du meurtre! Ce n’est pas normal que nos témoignages ne soient pas pris en compte!”, plaide une de ses filles, présente dans l’appartement quand son père a perdu la vie. 

Puis, il y a le temps judiciaire, qui s’écoule lentement, et de manière sinueuse. Aurélie Garand, la sœur d’Angelo -décédé par balles en mars 2017, en fait les frais il y a peu. Alors que le jugement de la cour de Cassation devait être rendu le 17 juin dernier, il a été reporté au 2 septembre prochain (Relire notre article de juin 2020 : https://www.lameute.info/posts/un-proces-pour-angelo-et-tous-toutes-les-autres-angelo-garand-justice-non-lieu-cassation?rq=angelo

Enfin, il y a aussi la violence des non-lieux, distribués à tour de bras dans ces affaires, vécus comme une seconde mort, un second meurtre pour les familles dont le statut de victime est nié. 

Le collectif Vies Volées a tenu à ce que les autres familles de victime de violences policières soient au premier plan. ©LaMeute-Nameu

Le collectif Vies Volées a tenu à ce que les autres familles de victime de violences policières soient au premier plan. ©LaMeute-Nameu

Pour la famille de Lamine Dieng, qui a dû se tourner vers une institution européenne, hors de France pour obtenir Justice (comme ce fut le cas pour le collectif pour Ali Ziri, à Argenteuil) le combat se poursuit désormais ailleurs que dans les Palais de Justice: via le collectif Vies volées et autour du mot d’ordre “Laissez-nous respirer”, elle espère à présent mettre un terme aux techniques d’immobilisations létales telles que la clé d’étranglement, le plaquage ventral et le pliage. La campagne a été lancée il y a déjà quelques années, et le collectif vise à présent le million de signatures.

Cette longue marche, qui s’inscrit également cette année dans la lignée des mobilisations antiracistes internationales depuis la mort de George Floyd, a rassemblé bien plus de médias que les années précédentes. 

Une jonction était prévue avec la Marche des Solidarités mais les forces de l’ordre avait devancé cette rencontre. 

Fédératrice et porteuse d’espoir sont les mots qui viennent en tête, en repensant à cette journée commémorative pour Lamine Dieng -ainsi qu’à la victoire arrachée par sa famille, en lutte depuis 13 ans, et qui marche encore aujourd’hui. 

©LaMeute-Jaya & Mes

RDV / DATES A RETENIR

*Samedi prochain - Marche pour Angelo Garand à Blois, près de Tours

*19 juillet - Marche pour Adama Traoré à Beaumont sur Oise (95) (plus d’informations à venir)

*6 octobre à 16H Palais de Justice à Paris (île de la Cité) - procès en appel pour Gaye Camara

* du 30 Novembre au 4 décembre 2020 : procès de Bagui Traoré, le grand frère d’Adama

PORTOFOLIO

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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 3 personnes et environ 17h de travail cumulées.

Texte: Jaya, Mes;

Photos: Jaya, Nameu;

Mise en page: Mes;

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