#StopLoiSécuritéGlobale / "N'ayez plus peur des dystopies ; vous en vivez une"

Dans la nuit de lundi à mardi, la police (dont la BAC) a procédé à l’évacuation violente d’un camp de réfugié-es improvisé dans l’urgence sur la Place de la République à Paris. Les images, profondément choquantes, ont scandalisé l’opinion publique ; un rassemblement était organisé hier soir sur la même place pour protester contre ce qui ne relève ni plus ni moins d’un fascisme qui se découvre. Alors que la Loi de Sécurité Globale a été adoptée à une large majorité en première lecture, LaMeute fait le point sur la situation.


C’est précisément pour des cas comme ceux-là que filmer la police relève du droit, mais également du devoir. En plein coeur de la capitale, à la nuit tombée, par 6°C, des centaines d’agents de police ont achevé de dépouiller des réfugié-es de toute humanité. Des tentes et leurs habitant-es arrachés au sol, des êtres humains projetés face contre terre, le talon d’une botte sur le visage, la matraque d’un flic sur le crâne… Rien de ce qui s’est passé ce soir-là ne ressemble de près ou de loin à de la démocratie. Rien. Et le fait qu’on souhaite au gouvernement effacer jusqu’aux preuves de l’existence de ce type d’agissements avec la Loi de Sécurité Globale démontre à quel point les scènes de lundi soir sont devenues d’une banalité terrifiante. Au nord de Paris, ou bien encore à la frontière italienne, ou dans les campements de Calais, ces scènes font le quotidien de milliers de personnes. Aucune déclaration du gouvernement, aucun tweet hypocrite de Gérald Darmanin, aucune loi liberticide foireuse, non, rien ne cachera jamais à nos yeux et à ceux du monde entier cette réalité morbide.

Les violences de lundi soir ont généré, tout au long de la journée de mardi, une indignation collective qui est saine et nécessaire (même si nous aimerions qu’elle ne s’exprime pas uniquement lorsque ces violences ont lieu en plein coeur de Paris - et quoi, Saint-Denis ça n’est plus la République ?). Spontanément, un rassemblement a été appelé par plusieurs organisations de sans-papiers, syndicats et groupes antifascistes pour reprendre l’espace confisqué la veille par la police. Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées, sans attestation en l’absence d’une déclaration préalable en préfecture. De nombreuses prises de paroles ont eu lieu, de militant-es (pro-)sans-papiers, mais aussi d’élu-es et de responsables politiques. Elles furent souvent coupées par des slogans scandés fort par toute la foule.

“So-so-solidarité, avec les sans-papiers”

“Siamo tutti antifascisti” (Nous sommes toustes antifascistes)

“Darmanin démission”

“Et tout le monde déteste la police”


Au bout de deux heures de rassemblement, les personnes restantes (environ 2000) se sont élancées dans une manifestation spontanée en direction du centre de Paris. Sur le chemin, les poubelles prirent feu, et réchauffèrent la ville confinée. A peine le temps d’arriver deux stations plus loin, et la police barra la route au cortège, dans une retenue pleine de communication politique en pleine crise de défiance envers les forces de l’ordre. La place finit par se vider peu à peu, sans plus de remous pour des personnes qui partaient souvent pour la première fois en manif’ sauvage.

Arrêtons-nous un instant sur l’état des choses, et parlons-en.

Le pays (et derrière lui le monde dans son ensemble) est plongé dans un état lamentable. Où que l’on soit, d’où que l’on soit, le point Godwin ne permet plus de jeter le discrédit sur ce propos : les fascismes s’installent partout à une allure pétrifiante. Disons “les fascismes”, car au demeurant, c’est le dire à raison.

Déjà parce que, d’une part, on a l’extrême-droite, suprémaciste blanche, obsédée par la “race”, par le “eux” et le “eux contre nous”. Une extrême-droite qui, librement et depuis des années, distille ses idées nauséabondes à travers toutes les couches du pays. Elle crée son propre agenda politique, provocant des débats stériles et stigmatisants à l’encontre du mouvement social dans sa globalité, mais aussi et surtout à l’encontre des étranger-es, de celles et ceux qu’elle identifie comme étranger-es. Tout particulièrement si ces personnes sont musulmanes. Cet agenda politique profondément antisocial n’est rien d’autre, disons-le sans détour, que l’arrière-garde politique des partis ultra-libéraux au pouvoir. Ces deux ensembles oeuvrent dans le même but : la destruction totale de toutes les conquêtes sociales du siècle dernier.

La Loi Travail ? La réforme des Retraites ? La sélection à l’université ? La casse des services publics ? Non ! Parlons plutôt de ces femmes qui portent le voile, des mosquées, et des enfants qui ne mangent pas de porcs à la cantine. Ce serait donc cela, le vrai problème de ce pays ?

D’autre part, la France est en train de sombrer dans un maelström de peur, dans le fantasme d’un affrontement entre le fascisme que représentent Daesh, les “islamistes radicaux”, les “terroristes”, et le fascisme d’une République qui maltraite tout ce qui bouge. Le fascisme d’une République qui arrache des mains, des yeux, des enfants aux frontières, des tentes en plein hiver, et des garçons dans nos quartiers.

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Le fascisme d’une République dont la police n’a pas de visage, n’a pas de nom, ne peut être jugée, ne peut être contrée que dans et par la rue.

Nous sommes à un moment charnière où les fascismes rivalisent d’inventivité, se renvoient la balle et le flashball dans un silence assourdissant, et ce moment est d’une dangerosité dont la comparaison historique est effrayante. La Loi de Sécurité Globale en est le signe.

On focalise énormément, à raison, sur la diffusion des images de flics. Mais que dire du vote qui a autorisé la surveillance par drones ? De la généralisation des pouvoirs des polices municipales. De ce toujours-plus-de-police, et par conséquent toujours-moins-de-droits ?

N’ayez plus peur des dystopies ; vous en vivez une.

Face à ce constat, une seule solution s’impose, et c’est précisément la stratégie adoptée par le mouvement actuel. Il nous faut occuper massivement l’espace que sature déjà la police, et créer nos propres espaces d’expression. Créer nos propres médias dans lesquels la police n’a pas droit de cité.

Et plus que tout, plus que jamais, manifester. Manifester partout. Manifester tout le temps. Manifester de toutes les façons possibles, mais manifester. On ne bat pas les fascismes qu’avec de beaux discours, mais avec une occupation permanente de l’espace.

Une marche contre les lois liberticides est d’ailleurs prévue ce samedi à Paris. Ne lâchons rien, ne cédons rien.

MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 7h de travail cumulées.

Photos : Corto, Graine

Texte : Graine

Mise en ligne : Graine