Lille : Un 43ème jour de grève sous les coups de matraque

A Lille, depuis plus d'une semaine, le préfet du Nord Michel Lalande voit rouge. Bien qu'il s'évertue à interdire le passage des manifestations par le centre-ville pour préserver les soldes, il ne parvient pas à décourager les grévistes. Mieux encore, il ne leur a permis que d'affirmer davantage leur refus d'un rabais sur leurs retraites et d'étendre un sentiment de fraternité au delà des frontières, avec la venue en soutien de syndicalistes belges la semaine précédente. Ne lui déplaise, la mobilisation de ce jeudi 16 janvier s'est imposée numériquement comme un franc succès. Plus de 15.000 personnes ont retrouvé le parcours initial, allant de Porte de Paris à la place de la République. Face à la détermination de tous.tes, c'est par un durcissement de l'appareil répressif que les autorités ont répliqué en ce jour. Avec 10 interpellations et plusieurs blessés au compteur, c'est l'une des manifestations les plus violentes que les lillois.es aient connu depuis le début de cet inédit mouvement de grève. PORTFOLIO

Après des premiers heurts devant l'enseigne Apple, toujours gardée par ses fidèles cerbères, la première charge policière a lieu à l'entrée de la rue Nationale. Les manifestants shootent dans les palais de gaz lacrymo, une discipline devenue proche de la pratique olympique à force d'entraînement. Dans la mêlée, les médics prennent en charge les blessé.es de la tête de cortège.

Alors que le cortège tente de se reformer, une deuxième charge intervient brutalement. Tentant de photographier l'assaut, je suis violemment repoussée par les forces de l'ordre. Un journaliste, lui aussi poussé, tombe sur le trottoir sans pouvoir se relever. Un policier lui hurle de dégager en distribuant un coup de poing avec son gant coqué à un manifestant nous portant secours. Une grenade de type MP7 tombe accidentellement à côté de sa tête avant d'être ramassée par le policier. Des coups de tonfa sont portés à mon matériel pour me faire déguerpir.

Dans cette charge d'une grande violence, les policiers semblent interpeller la foule à l'aveugle. Ici, un CRS traîne un manifestant au sol en le tirant par le pied. Contacté par LaMeute, le jeune homme prénommé Victor témoigne : « J'ai vu un CRS matraque tendue à moins d'un mètre de moi, je n'ai pas compris ce qu'il s'est passé. J'ai fini au sol, il m'a mis un coup de matraque dans le nez. Il m'ont amené derrière pour un contrôle d'identité et m'ont laissé partir directement après. ».

La manifestation se reforme peu à peu en remontant la rue Nationale. De nombreuses casses sont entreprises sous les applaudissements de la foule. Puis, comme une punition au non respect de ces symboles du capitalisme, un escadron mobile charge au croisement de la rue Solférino. Une grenade de désencerclement GLI-F4, pourtant responsable d'importantes mutilations sur des manifestants, explose en tête de cortège. Dans la cohue, un homme est violemment plaqué au sol par un policier, sa tête est écrasée pendant plusieurs secondes. Lui, et d'autres personnes se trouvant à proximité sont arrêtées sans distinction.

Les manifestant.es se relèvent, scandalisé.es par ce déchaînement de violence excessif. Certain.es décident de charger les policiers escortant la tête du cortège en scandant : « Libérez nos camarades ! ». Repliés dans un coin de la rue, des CRS sont hués et finissent par reculer après quelques jets de projectiles. Le cortège reprend progressivement son souffle en arrivant aux abords du théâtre Sébastopol.

Les syndicats, restés au milieu du cortège pour laisser la tête au Bloc, défilent devant le cordon de CRS planté rue Solférino. Depuis la manifestation du samedi 11 janvier dernier, regroupant Gilets Jaunes et grévistes, la CGT a partiellement réussi à redorer son image. L'Union Locale CGT de Tourcoing avait en effet longuement essayé de faire céder le barrage policier qui empêchait l'accès au centre-ville. Habituellement peu offensifs et ayant tendance à se désolidariser de l'action directe, les syndicalistes semblent se montrer de plus en plus solidaires.

Un salarié en grève de l'usine Cargill fait dos aux barrières anti-émeute place de la République. L'amidonnerie située à Haubourdin a annoncé en novembre vouloir supprimer 183 emplois, soit plus de la moitié de son effectif comptant 315 emplois au total. Ce «plan de sauvegarde de l’emploi» (PSE) est d'autant plus consternant au regard des 115 milliards de dollars de chiffre d'affaire qu'a enregistré la firme américaine propriétaire de l'usine en 2018. Peu de temps après l'arrivée du cortège, un salarié de l'usine est arrêté par les CRS. Il écope de 24h de garde à vue avant d'être finalement relâché. Une cagnotte en ligne a été mise en place pour soutenir les grévistes.

Les cheminot.es et salarié.es de Cargill chantent en cœur place la République. Réunis comme une seule âme, les grévistes offrent aux manifestant.es une belle image de convergence qui caractérise l'esprit du mouvement depuis ses débuts. Bien que les mobilisations se succèdent chaque semaine, ils sont loin d'avoir perdu la voix.

A peine arrivé.es à la fin du parcours, les manifestant.es sont prié.es de se disperser par le commissaire qui s'égosille dans son mégaphone. Quelques minutes plus tard et malgré une ambiance bon enfant, les grenades lacrymo volent dans les airs. La place de la République se pare d'un grand voile blanc, le monde s'éparpille dans la confusion. Pendant une accalmie, les grévistes d'ERDF tentent de couper le courant alimentant l'éclairage public de la place. Ce mode d'action a connu plusieurs succès à Lille et s'avère très efficace mais, cette fois, la police charge avant le début de l'opération. Quelques personnes sont embarquées et placées en garde à vue. Des discussions ont lieu entre grévistes et aboutissent à un déplacement vers le commissariat pour réclamer la libération de leurs camarades.

Textes & Photos par ©LaMeute - La Moulinette

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