Justice pour Ibrahima Barrie : l'inéluctable colère des Bruxellois.es

Les proches d’Ibrahima prennent la tête du rassemblement avec une banderole “Justice pour Ibrahima, Stop aux violences policières©LaMeute - Moulinette

Mercredi 13 janvier, environ 700 personnes se sont rassemblées devant le commissariat de la rue de Brabant à Saint-Josse-ten-Noode, à Bruxelles. C'est là que, quatre jours plus tôt, Ibrahima Barrie, 23 ans, ressortait en ambulance, inanimé. Interpellé alors qu'il filmait une arrestation avec son téléphone, il est embarqué au poste, il y aurait fait un malaise. Le jeune homme succombe d’un arrêt cardiaque aux alentours de 20h22, à l'Hôpital Saint-Jean. Ce n’est qu’à 2h30 que la famille est avertie de son décès. Sur les raisons de ce malaise, les policiers parlent d’un matériel de réanimation défectueux, ou encore du fait qu'Ibrahima aurait ingéré de la drogue avant son interpellation. Versions remises en doute voire totalement réfutées par la famille et les médecins ayant pratiqué l'autopsie.

Du pacifisme à l'exaspération

15h. En contrebas des grandes tours en construction et des centres d'affaires caractéristiques du quartier bruxellois de la gare du Nord, le monde s'entasse peu à peu sur les trottoirs. Face au commissariat, quelques policiers montent la garde en observant la foule avec circonspection. Les organisateurs.ices, reconnaissables à leurs gilets oranges, essayent tant bien que mal d'éviter l'éparpillement des personnes venues rendre hommage à Ibrahima. Les soutiens affluent, plus nombreux que prévu. « Les journalistes, sur le trottoir d'en face, les gens qui manifestent de ce côté ! » s'époumone une jeune femme.

Soucieux du bon déroulement du rassemblement, les gilets oranges échangent régulièrement avec les policiers pour appliquer au mieux les directives. Les manifestant.es ne doivent ni gêner la circulation, qui n'a pas été coupée pour l'occasion, ni déborder sur la route. Résultat, des centaines de personnes se retrouvent parquées sur un bout de trottoir, accédant plus que difficilement à la tête du cortège. Un jeune homme empoigne un mégaphone : « On veut que tout se déroule pacifiquement, pour que la famille puisse faire son deuil et qu'Ibrahima repose en paix ! » - « Inch'Allah ! » répondent les proches en chœur, les yeux vers le ciel.

Alexis De Swaef, avocat de la famille et vice-président de la FIDH (Fédération Internationale pour les Droits Humains), s'adresse aux médias. Il rappelle le déroulement des faits ; samedi 9 janvier, autour de 19h, une intervention policière survient dans le quartier la gare du Nord, Ibrahima se saisit de son téléphone, et commence à filmer la scène. Il est alors pris à partie par des policiers « pour un contrôle ». « Il a pris peur et a pris la fuite. », explique l'avocat. Un cas qui n'est pas sans rappeler ceux d'autres jeunes, morts après avoir eu affaire à la police bruxelloise. Dans la foule compacte, on aperçoit les soutiens du collectif pour Mehdi, 17 ans, renversé mortellement par la Brigade Anti-Agression dans le centre-ville de Bruxelles le 20 août 2019, ou encore des proches d'Adil, 19 ans, tué le 10 avril 2020 alors qu'il était à scooter. Des crimes aux circonstances troubles dont LaMeute parlait ici.

Malgré la détermination pacifiste des organisateur.ices, l'ambiance s'échauffe rapidement. Alors que le slogan « Police, assassins ! » retentit d'un côté, les gilets oranges répliquent de l'autre : « Évitez ce genre de phrases, nous ne sommes pas là pour les insulter mais demander la justice ! ». Leur crainte ; être victimes d'un traitement médiatique à charge, criminalisant et ne montrant qu'un versant des violences. Dans une atmosphère devenue électrique, un groupe d'une centaine de personnes s'engouffre spontanément sous un tunnel donnant sur l'entrée de la gare : « Police, assassins ! Police, assassins ! » crient les manifestant.es dans l'écho du béton. A l'autre bout, des policiers en tenues anti-émeutes accompagnés de leurs chiens surexcités stoppent leur progression.

Les gilets oranges s'interposent, tentent de calmer le jeu, en vain. Les groupes se dispersent et prennent à partie des voitures de police sur les lieux du rassemblement. Comme un appel crevant les cieux, les manifestant.es hurlent le nom d'Ibrahima en courant dans les rues. Les forces de l'ordre ne tardent pas à répliquer à l'aide de deux camions à eau et d'arrosages de gaz lacrymogène à bout portant.

Une gronde populaire explosive

A l'image des émeutes survenues à l'occasion de la manifestation Black Lives Matter du 7 juin dernier, le faible espace d'expression permis par un rassemblement statique ne semble pas suffire à soulager la colère des jeunes. Pendant de longues minutes, les jets de pavés s'enchaînent sur les policiers, retranchés derrière leurs boucliers.

Repoussés, des petits groupes s'enfoncent dans les rues de Schaerbeek, dressant des barricades enflammées sur leur chemin. Passant.es et riverain.es sortent la tête par la fenêtre ou descendent dans les rues. « Je comprends pourquoi ils font ça. La semaine dernière, un policier a mis un coup dans le genou d'un ami, il ne peut plus marcher depuis » raconte Karl*, un jeune homme de 28 ans en observant les émeutier.es. Un autre passant, sans papiers, se confie à LaMeute : « Je me suis fait embarqué parce qu'ils m'ont fouillé et que j'avais des outils sur moi, je fais des petits travaux chez des gens. Ils m'ont menacé au visage avec un de ses outils, j'ai eu très peur. ».

La foule se nasse autour du commissariat Koban Brabant de Schaerbeek, de hautes flammes commencent à en recouvrir la façade. Tout autour, arrêts de bus et publicités sont désossées, de nouvelles barricades sont montées en cadence. Des éclats de voix réclamant « Justice pour Ibrahima ! » retentissent entre les fracas. A chaque tentative de percée, les policiers sont violemment repoussés par les manifestant.es, notamment à l’aide de tirs de mortiers. En renfort des canons à eau, les policiers arborent des FNF 303, une arme à létalité réduite utilisée en Belgique pour certaines opérations de maintien de l'ordre. Entre deux croisements, un laser vert type viseur de sniper semblent viser maladroitement les têtes, semant la panique chez les manifestant.es. C'est cette arme, que l'on voit ici utilisée à bout portant par un policier :

Sur les émeutes, Marc De Mesmaeker, commissaire général de la police fédérale, déclare au micro de la RTBF : « On peut comprendre qu’il y a des émotions et que le citoyen veut s’exprimer, mais les violences sont inacceptables. » tout en annonçant que « les violences à l’encontre de la police et de la police doivent être priorisées ». En pleine démonstration de déni manifeste, il ajoute qu'il n'existe pas de racisme structurel dans la police mais qu' « une police qui n’a pas la confiance de sa population, n’est pas une vraie police ». Pour l'avocat de la famille, il s'agit bien là de racisme :

« Si Ibrahima n’avait pas été noir, il serait encore en vie. Ce qui lui est arrivé ne serait jamais arrivé à mes enfants, qui sont blancs. »

La manifestation a également ému le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open Vld), qui se vante sur Twitter : « Nous ne pouvons en aucun cas accepter ce qu'il s'est passé aujourd'hui à Schaerbeek. (…) Plus de 100 personnes ont été arrêtées. Les émeutiers ne s'en tireront pas impunément. ». Reste à voir ce qu'il en sera des policiers présents lors du malaise d’Ibrahima.

Les forces de l'ordre font aujourd'hui état de 112 arrestations administratives et de 4 arrestations judiciaires après le rassemblement. Un manifestant, parti en ambulance, ainsi que 4 policiers ont également été blessés.

Une version policière mise en doute

Si Marc De Mesmaeker espère que la « justice fera son travail », certains éléments de l'enquête semblent peu cohérents pour les proches d'Ibrahima. Premier questionnement autour du motif du contrôle du jeune homme et de ses amis ; la police invoque des causes liées au couvre-feu en vigueur, autorisant les sorties jusqu'à 22h. Cependant, l'arrestation aurait eu lieu aux alentours de 19h, bien avant l'heure limite.

Mêmes doutes quant aux évènements qui se seraient déroulés entre les murs du commissariat de la rue de Brabant. Dès son entrée, Ibrahima y aurait fait un malaise et serait tombé au sol. Alexis De Swaef fustige : « Pendant de longues minutes (NDLR : 5 à 7 minutes) on l’a laissé comme ça, sans connaissance, et il en est mort.». Le journal De Standaard annonce qu'une enquête pour homicide involontaire a été ouverte mais que le parquet se refusait de confirmer le retard de prise en charge de la victime.

Les policiers nassent peu à peu les manifestant.es, les faisant reculer vers le Nord de Bruxelles ©LaMeute - Moulinette

D'autres versions, non sourcées mais relayées par quelques médias laissent entendre qu'Ibrahima a fait un malaise du fait de prise de drogue, ce que contestent les médecins ayant réalisé l'autopsie. Ce traitement médiatique, un ami d'Ibrahima, n'en peut plus. Présent au rassemblement, il interpelle les journalistes qui passent près de lui sans l'interroger : « Venez nous interroger, nous on a des choses à dire ! Arrêtez de raconter des mensonges pour le salir, nous on veut juste la vérité. ».

De plus, des proches ont pu constater des hématomes sur le corps d’Ibrahima. D'après les policiers, cela serait dû aux tentatives de réanimation qu'ils auraient exercé sur lui à l'aide d'un défibrillateur dysfonctionnel. Ils auraient ensuite appelé une ambulance et un Smur (Service mobile d'Urgence et de Réanimation) pour prendre le jeune homme en charge. Il est transporté à l'hôpital Saint-Jean où il décède à 20h22. Le Comité P, chargé d'enquêter sur l'affaire, s'est alors rendu sur place. Ce n'est que 6h plus tard que la famille sera avertie du drame. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Voilà une question qui taraude, à juste titre, les proches d'Ibrahima. Ce jeudi 14, les médecins ayant pratiqué l'autopsie indiquent qu'Ibrahima souffrait d'une « malformation cardiaque » mais que celle-ci ne permet en aucun cas d’expliquer sa mort.


Pour soutenir la famille d’Ibrahima : Cagnotte ici

*Les prénoms ont été modifiés

Moulinette

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La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 12h de travail.

- Photos : Moulinette;

- Relecture : Tulyppe ;

- Texte : Moulinette ;

- Mise en page: Moulinette.

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