#MarcheContreLislamophobie : Le 10 novembre, nous avions rendez-vous avec l'histoire

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Les mois de novembre, à n’en plus douter, nous poussent à la réflexion sur notre propre histoire, sur l’histoire de nos luttes, et donc a fortiori sur qui nous sommes dans le temps et dans l’espace. Car à la date du 17 novembre 2018, il faudra à présent ajouter celle du 10 novembre 2019 — la date d’une marche historique contre le racisme ambiant et caractérisé, à l’encontre des musulman·es.

Et nous nous devons à chacun·e cette vérité : il était temps, il était même grand temps que quelque chose de formidable se produise pour tenter de mettre un terme à la radicalisation islamophobe dans laquelle est plongée le pays depuis des mois. Comme un seul homme, comme une seule femme ; le pas assuré et le regard fier ; des dizaines de milliers de personnes venues en famille de toute la France ont défilé hier à Paris, entre Gare du Nord et Nation, avec en bouche un message clair : STOP À L’ISLAMOPHOBIE. Car le constat est là, lourd de toute sa gravité. En seulement quelques mois — comme si le reste de l’année ne suffisait pas — racistes et identitaires de tous les bords politiques s’en sont donné·es à coeur-joie pour stigmatiser la communauté musulmane. A gauche, chez les Insoumis·es et dès le mois de septembre, Henri Peña-Ruiz revendiquait « un droit à l’islamophobie » au nom de la sacro-sainte laïcité. A la Convention de la Droite, en octobre, Eric Zemmour comparait l’Islam au nazisme, et « les djellabas [à] l’uniforme d’une armée d’occupation ». A la une du torchon d’extrême-droite intitulé Valeurs Actuelles, juste avant novembre, le pas-si-centriste-que-ça Emmanuel Macron considérait que « l’échec de notre modèle se conjugue à la crise que vit l’islam ». Et nous ne parlons même pas dans tout cela de Fatima agressée par un élu RN en pleine sortie scolaire, de la loi sur le port du voile pour ces accompagnatrices, de Zemmour tranquillement à l’antenne de CNEWS toutes les semaines malgré l’avis de ses collègues, ou encore de l’attentat suprémaciste devant une mosquée à Bayonne…

Trop, c’est trop.

En pas moins de trois semaines, depuis le rassemblement du 27 octobre sur la même place de la Nation, des pans entiers de la société se sont mis en branle pour entrer dans le combat. Une pétition appelant à manifester fut lancée, et elle-même a fini par devenir un acte politique fort et sans précédent depuis la Marche pour l’Égalité et contre le Racisme de 1983. Dans les premier·es signataires, on retrouve des militant·es historiques de l’antiracisme comme entre autres Youcef BrakniTaha Bouhafs et Assa Traore pour le Comité La vérité pour Adama, Omar Slaouti (Collectif Rosa ParksVérité et Justice pour Ali Ziri), Madjid Messaoudene (conseiller municipal délégué de Saint-Denis), ou des militant·es de l’ Action Antifasciste Paris-Banlieue; mais également des personnalités politiques comme Philippe Martinez (secrétaire général de la CGT Confédération Générale du Travail), Jean-Luc Mélenchon et Eric Coquerel (LFI), Jérôme Rodrigues Officiel (GJ), Anasse Kazib et Torya Saori (cheminot·es) ; et des personnalités médiatiques comme l’humoriste Yassine Belattar ou encore Mohamed de Koh-Lanta.

Une marche au résultat sans appel, dont nous faisons ici le récit.

A 13h, déjà, la petite esplanade qui fait face à la Gare du Nord parvenait difficilement à contenir la foule par milliers venue marcher dans les rues parisiennes. A l’entrée du Boulevard Magenta, une cinquantaine de journalistes, armé·es jusqu’aux dents de leurs caméras, micros, et appareils photos, se battent comme des gladiateurs pour capturer la banderole de tête. Plusieurs questions nous sont alors venues à l’esprit : que faisaient-ils tout ce temps ? Où étaient-ils le 27 octobre ? Que vont-ils encore trouver à redire à cette marche que l’on sentait déjà historique ? Reste que ces journalistes commencèrent à ennuyer sérieusement les militant·es et le service d’ordre, déjà pour leur hypocrisie, et plus pragmatiquement pour la bonne tenue de la marche. On entendit Youcef Brakni, au micro pendant qu’il les poussait avec son dos, les railler d’un bon-mot. « Allez les journalistes on se pousse. Vous aurez le droit de prendre des photos plus tard - sauf pour LCI ! » Hilarité générale.

Dans la foule qui descendait le Boulevard Magenta, le respect, la bonne humeur et la politesse étaient davantage de mise que l’usage des manifestations. On était souvent venu·e en famille, avec parfois de très jeunes enfants, dans des poussettes ou sur les épaules, avec les parents, et surtout les mamans. Mamans — souvent voilées — auxquelles la foule ne manqua pas un instant de rendre hommage. Sur un air de slogan que l’on connait bien, on entendait régulièrement : « On est là, on est là, même si Macron [parfois « Blanquer » ndlr] ne le veut pas nous on est là, pour l’honneur des musulmans, le respect de nos mamans, même si Macron ne le veut pas nous on est là ! » Un slogan qu’un joli bloc antifasciste reprendra à sa façon, remplaçant « Macron » par « les racistes », et « contre les islamophobes et la violence d’Etat » à la place de « le respect de nos mamans etc ». Ce fut d’ailleurs une manifestation riche en slogans et en chansons, lancés la plupart du temps au micro, depuis un camion du syndicat SUD, par Taha Bouhafs ou Youcef Brakni, perchés sur le toit étroit de l’utilitaire. De ceux que l’on a pu noter, on retrouve “C’est pas les musulmans qui posent problème, c’est les islamophobes qui ont la haine !” , “Dans les rues parisiennes, les musulmans chantaient : laïcité on t’aime, tu dois nous protéger”, ou encore “Nous sommes tous des enfants de Fatima”, ou bien “Recouvertes ou pas assez, c’est aux femmes de décider !”

Il a fallu un certain temps pour nous rendre compte de combien nous étions à cette marche. Par deux fois la topologie de Paris nous a permis d’observer quel spectacle se déroulait devant nos yeux : dans la descente du Boulevard Magenta et dans la montée de République à Père Lachaise, on ne voyait plus une seule parcelle de bitume. Routes et trottoirs étaient noirs d’un monde que l’on ne voit jamais pour des questions semblables à l’islamophobie. Et pour tout ce que cette marche portait d’ironie, on sentait le plaisir coupable (ou non) d’entonner haut et fort le slogan “On est chez nous ! On est chez nous !”, slogan emblématique de l’extrême-droite anti-immigration.

La marche se déroula dans cette ambiance joviale jusqu’à la Place de la Nation, où l’on se rassembla autour du petit kiosque sous lequel plusieurs personnalités se succédèrent pour prendre la parole. Parmi ces prises de paroles, il faudra que l’histoire retienne celle de Maryam Pougetoux, cette étudiante musulmane, voilée, que les médias avaient jeté en pâturage à la haine islamophobe alors qu’elle était venue parler, en 2018, en tant que syndicaliste UNEF, de la sélection à l’université et de la loi ORE. Dans son discours, elle rappela à quel point l’islamophobie n’est pas uniquement sociétale ou médiatique, mais participe d’une volonté étatique, et notamment par le biais de l’école ou, plus tard, dans l’enseignement supérieur. Des écoles où l’on stigmatise les enfants musulmans (et où l’on banalise cette violence dès le plus jeune âge), des facs où l’on fiche les étudiant·es pour un rien, pour un soupçon haineux de radicalisation, pour une barbe ou pour un voile.

Il faudra également que l’histoire retienne la dénonciation faite par Taha Bouhafs, journaliste lui-même, de l’aveuglement des journalistes face à la gravité de la situation, voire pire, de l’aggravation de cette situation par des journalistes à la solde du capitalisme, dont l’intérêt tout particulier est de détourner les regards loin des réformes putrides préparées par le rouleau-compresseur libéral que représente le gouvernement Macron.

Espérons également que l’histoire retiendra ce moment, volontiers provocateur, où Yassine Belattar fit chanter à des dizaines de milliers de personnes, éclairées à la seule lumière de leur téléphone, les paroles de la Marseillaise. Car si les raisons sont multiples et légitimes de ne pas porter ce chant dans son coeur, cela a eu le don, l’espace d’un instant, de mettre les racistes et autres nationalistes en mode muet, en mode “FATAL ERROR SYSTEM”.

Nous voyons déjà la contre-offensive réactionnaire frapper à coup de polémiques et de diatribes toutes les personnes qui ont participé à cette marche, ou a minima qui l’ont soutenue. C’est là donc la preuve que ce moment d’unité, ce front commun de personnes musulmanes ou non, chrétiennes, juives, athées, qu’elles soient racisées ou blanches, LGBTQI+ ou non — en bref que tout ce conglomérat progressiste aura su leur faire peur !
Il nous faut à tout prix rester uni·es, prêt·es à ne rien céder de plus, et à renouveler l’exploit si la réaction des identitaires se fait plus virulentes. Prêt·es à rendre coup pour coup, et à frapper encore plus fort.

Car il nous faut aussi garder ceci en tête : la marche d’hier était un véritable tour de force, et elle ne plaira pas aux réactionnaires qui, assurément, contre-attaqueront. Toutefois, à nous, de fait, de ne pas transiger face à cela. Soit on soutient l'islamophobie, soit on la combat. Pas d'entre-deux.

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