Gilets Jaunes de Dunkerque : « Depuis un an, notre vie c'est un rond-point ! »

La cabane est située aux abords de la ville de Grande-Synthe. Etant construite sur un terrain privé, les gilets jaunes ne peuvent pas être délogés par les forces de l'ordre. © LaMeute - La Moulinette

 

Les gilets jaunes dunkerquois.es fêteront bientôt une année de présence, entre le rond-point des Parapluies et le rond-point de Kruysbellaert. A force de courage et de persévérance, iels ont réussi à pérenniser leur lutte dans le temps et l'espace. Iels se sont approprié une place dans le paysage urbain, tout en suscitant multitude de débats chez celles et ceux qui les croisent.

Il est 16h. Derrière le rond point et le flux d'automobilistes, on aperçoit un drapeau français flotter au gré du vent. Des gilets jaunes sont suspendu.es de part et d'autre autour de la cabane ainsi que des pancartes aux messages revendicatifs. A l'intérieur, quelques personnes discutent vivement, des tasses fumantes à la main. L'odeur du café chaud réchauffe la pièce, une boîte d'ours en guimauve est posée sur la table.

Tout le monde est assis dans les canapés sauf Franck. Passionnément enragé, il préfère parler debout en faisant de grands gestes. Lui et les autres membres du noyau dur sont là depuis le début, avant l'évacuation du tout premier camp érigé à 850m de là sur le rond-point voisin. Si le but était pour tous.tes de créer un lieu de vie et d'échange, la cabane est devenue pour Franck un lieu de survie. Sans domicile fixe, il vit ici depuis plusieurs mois. « Quand les flics m'ont convoqué, c'est l'adresse du rond-point que j'ai écrit sur ma convocation. ». Il prend plaisir à faire rire ses camarades en racontant ses aventures, comme la fois où il a bloqué le rond-point tout seul avant de se faire déloger par la police.

Richard (à gauche) et Alfredo (à droite) posent devant la cabane. Ils font partie du noyau dur à venir encore très régulièrement sur le rond-point. © LaMeute - La Moulinette

Patricia, alias Patou, est aussi là depuis le début. Elle vient tous les jours sur le rond-point mais n'hésite pas à se déplacer au gré des appels à manifester : « Je suis allée à Lille, à Paris, à Boulogne, à Calais, à Amiens... Partout où il y avait besoin de nous ! ». C'est elle qui a acheté les gilets jaunes fièrement exposés devant la cabane, elle est très investie dans le QG : « Pour Noêl, on va tout bien décorer. Il y aura des guirlandes, un sapin... Comme à la maison ! ». Aux murs, stickers antifascistes et slogans griffonnés sur des feuilles blanches décorent la tôle brute. Quelques bibelots sont posés parmi des denrées alimentaires stockées sur des étagères.

A l'extérieur, Toff, un autre gilet jaune de la première heure alimente la braise dans un baril pour faire du feu. Il est régulièrement interrompu par les bus, voitures et autres véhicules qui klaxonnent en passant devant la cabane. Beaucoup leur expriment un soutien affiché, les saluent de la main ou passent dire bonjour en passant par-là à pieds.

A peine arrivé sur le rond-point, Toff salue de la main un camion de pompier qui klaxonne en passant. © LaMeute - La Moulinette


S'iels sont devenu.es partie intégrante du paysage, les gilets jaunes dunkerquois.es ont dû faire face à de graves attaques. La cabane a été brûlée deux fois, entre mars et août 2019. Personne ne connaît les auteurs mais tous.tes s'accordent à dire que ces incendies étaient intentionnels. Par chance, aucun.e blessé.e n'a été à déplorer mais iels ont pris des mesures de prudence. « Des fois, ça sentait fort l'essence juste derrière, alors on se relayait le soir pour éviter que quelqu'un remette le feu. » explique Patou. Tous les matériaux et mobiliers dont ils ont eu besoin pour se réinstaller sont des dons de l'extérieur, comme les canapés qui ont été offerts par les pompiers de Grande-Synthe.

« Les flics outrepassent leurs droits. C'est eux qui attisent la violence ! »

Une voiture de flics passe devant la petite bâtisse. Les discours s'échauffent. Patou parle de sa future comparution au tribunal, convoquée pour « outrage à agent ». Elle aurait fait un doigt d'honneur aux policiers alors qu'ils tentaient d'évacuer le rond-point. « Il y avait une trentaine de policiers juste pour nous ! L'un d'entre eux pointait son flashball juste là, à l'entrée de la cabane. Ils m'ont embarquée, j'ai fait 24h de garde-à-vue ». Elle nie formellement avoir fait un doigt d'honneur et dénonce un prétexte pour la faire taire, technique récurrente des forces policières et judiciaires à l'encontre des gilets jaunes. Dans la pièce, chacun.e raconte son histoire, ou celle d'un.e ami.e, les exemples ne manquent pas. Toujours debout à faire de grands gestes, Franck mime une de ses interpellations avec beaucoup d'humour : « La dernière fois, ils m'ont foutu à poil sur la voie publique pendant une palpation ! ». Rires de l'auditoire. L'humour est devenu force d'esprit, une forme de résistance à part entière et non un renoncement. Un an de lutte acharnée, ça forge les esprits. L'ambiance reste chaleureuse et conviviale, même si le sujet est grave. Patou ressert des cafés à tout le monde.

« On est des rebelles. Si on nous attaque, on ne va plus se laisser faire. »

«Ca fait un an qu'on se bat, on a toujours rien eu ! »
Quand ils parlent d'avenir, les gilets jaunes dunkerquois.es n'ont aucunement l'intention de faiblir. En dépit de leur nombre qui a nettement décru depuis les premières mobilisations de novembre 2018, iels sont plus soudés que jamais. Iels sont le dernier bastion de gilets jaunes dunkerquois.es et ne comptent pas faire alliance avec le nouveau groupe créé dans la région : la branche locale d'Extinction Rebellion. Tout le monde est unanime ; iels ne sont pas du même monde. Alors que les premier.es souhaitent manger mieux, les gilets jaunes demandent que plus personne ne meurt de faim dans les rues. Deux poids, deux mesures. Franck raconte : « Extinction Rebellion essaye de nous écraser. Ils s'accaparent notre mouvement et ont même créer un site « Gilets Jaunes Dunkerque » pour lequel on a aucun accès, aucun code, rien ! En plus, ils ont dit que les gilets jaunes étaient des cassos' ! ».

Le panneau ouvre la voie aux automobilistes qui quittent la ville de Grande-Synthe pour prendre l'autoroute. Les slogans revendicatifs sont visibles de toute part du rond-point. © LaMeute - La Moulinette

Convergence impossible donc, mais pas avec les pompiers et le corps médical en grève. Sur le rond-point, des panneaux appellent aux prochaines mobilisations, dont une à la caserne de Dunkerque.

C'est sans doute là le point de rencontre de ces luttes inédites après un an de mobilisation. Patou, notre manifestante itinérante, ira à Paris le week-end du 16 novembre. Tous.tes appellent à la grève générale et illimitée à partir du 5 décembre. « Tout a encore augmenté au 1er novembre ! Les clopes, l'essence, le gaz... Et avec la réforme du chômage, il faut que tout le monde sorte dans la rue ! C'est loin d'être la fin ! ».

Toff s'occupe du feu à la tombée de la nuit. Comme tous les soirs depuis un an, le baril enflammé témoigne de leur présence et de l'ambiance chaleureuse qui règne sur le terrain. © LaMeute - La Moulinette

En un an, les gilets jaunes de Dunkerque et d'ailleurs ont déçu les attentes de tous ceux qui voyaient en elleux un mouvement éphémère et peu crédible. Iels forment désormais un socle solide dans les différentes luttes qui secouent la France, allant des violences policières à la question climatique. Iels ont le mérite d'avoir généralisé la colère qui gronde à toutes les strates de la société tout en renouvelant les formes d'actions et de défense. Grâce à elleux, un vent d'espoir souffle à nouveau sur le militantisme français. Les gilets jaunes promettent une nouvelle année de protestation riche de leur détermination sans faille pour faire valoir le droit de chacun.e à une vie digne. Rendez-vous le 16 novembre prochain pour un nouvel épisode !

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