Dans les AG interprofessionnelles, généralisons partout la grève


Au stade où nous en sommes, il n’est plus possible de faire un seul pas en arrière.

Au-delà de toute fatalité - bien au contraire, le champ des possibles est à présent ouvert - il demeure que le succès de cette grève générale ne dépend que de nous-mêmes. Ou bien nous y croyons sans faillir, et le cas échéant nous nous donnons les moyens de vaincre - ou bien nous baissons les bras. Et dans la situation actuelle du pays, où 7 de ses 8 raffineries sont à l’arrêt, où 90% de ses trains ne circulent pas, où de nombreuses facs et écoles sont fermées, bloquées, vidées de celles et ceux qui les font vivre, où les secteurs de l’énergie tournent au ralenti… rien n’est moins sûr que l’amplification du mouvement.

La fonction publique est acquise à cette grève, et c’est tant mieux ; mais qu’en est-il du privé ? Le principal argument des éditorialistes de plateaux télés, des journalistes en pantoufles et des politiques à soldes de tous bords, c’est d’aller dire aux grévistes “Mais regardez ! Il n’y a que vous ! Oui, c’est vrai que 69% des Français vous soutiennent, mais dans la rue, il n’y a que vous ! Vous les fonctionnaires ! Les nantis, et les privilégiés !”

L’histoire retiendra ce mensonge. Car que la bourgeoisie descende de sa tour de télévision, et vienne nous expliquer, droit dans les yeux, que le million de manifestant·es de jeudi dernier n’était composé que de quelques fonctionnaires. La France ne compte pas 69% de fonctionnaires, et les salarié·es du privé qui se sont mobilisé·es ce jeudi ont été bien courageux·ses de montrer la voie à leurs collègues.

Ce que nous avons vu dans la rue ce jeudi, c’est la fierté de nombreux·ses précaires des secteurs du service à la personne, du commerce, de l’industrie, qui ensemble ont relevé la tête. Ce que nous avons vu, ce sont ces jeunes par milliers, précarisé·es par les heures gâchées dans des jobs pourris, payé·es avec quelques miettes pour compléter les lacunes d’un État délibérément défaillant. Ce que nous avons vu, ce sont des travailleur·euses immigré·es, usé·es par l’exploitation néo-coloniale de leurs corps, par les RER de 5h du matin alors que tout le monde dort encore, et à qui l’on explique au JT de 20h que la pénibilité au travail n’est plus qu’un mythe d’un autre temps. Ce que nous avons vu, ce sont des habitant·es des quartiers populaires, harassé·es par la seule alternative que propose le monde de Macron : uber ou la prison. Ce que nous avons vu, ce sont des femmes par milliers, salarié·es du privé, outrageusement moins payées que les hommes, et qui savent que la retraite par points les enfoncera toujours plus dans la précarité. Ce que nous avons vu, ce sont des parents de tout âge, de toute profession, inquiet·es en toute logique de ne voir leurs enfants bosser jusqu’à ce que la mort ne les rattrape.

Ce que nous avons vu, ce sont les gesticulations d’un corps et qui, inévitablement, précèdent le réveil.

Comment alors mobiliser massivement le privé dans cette grève ? Comment redonner confiance aux travailleur·euses des entreprises privées qui, durant des décennies, ont progressivement renoncé à la pratique de la grève ?

La réponse nous vient des grévistes les plus combatif·ves de la grève actuelle. Hier, vendredi 6 décembre, se tenait à la Gare Saint-Lazare une assemblée générale interprofessionnelle, réunissant des centaines de grévistes de tous les secteurs en lutte au niveau local, afin de discuter des modalités en cours de la grève.

Gaël Quirante, postier du 92 syndiqué chez SUD-PTT, expliquait, perché sur une bande d’arrêt de train qui servait de tribune, que c’est ce mode d’organisation au local qui permettra de généraliser la grève en faisant pression, par la base auto-organisée, sur les centrales syndicales. Des groupes de grévistes organisé·es partout, créant des actions de convergence, de blocage, convainquant tout le monde de se mettre en grève secteur par secteur, sont autant de points de pression forçant les centrales nationales à l’action toujours plus déterminée. Pour Anasse Kazib, cheminot également à SUD, c’est en élargissant ces AG que se créera la réelle convergence, que se démoliront d’elles-mêmes toutes les cloisons qui maintiennent les travailleur·euses séparé·es.

Appelez-les AG interpros, comités de grèves, conseils ouvriers, peu importe. Pour les personnes présentes hier soir, dans le froid venteux de la Gare Saint-Lazare, ces réunions sont cruciales, doivent se multiplier partout, et se renouveler tout le temps. C’est dans ces espaces que s’entrevoit un autre monde.

La prochaine AG interprofessionnelle de Saint-Lazare a été votée très majoritairement pour la date du mercredi 11 décembre, au lendemain de la seconde grande journée de manifestation appelée par l’intersyndicale ce vendredi 6 au matin.

Espérons qu’entre-temps, ces AG auront fleuri partout.


Portfolio de l’AG à Saint-Lazare