[BILLET D’HUMEUR] : « Le coronavirus, c’est bien la guerre. Mais c’est la guerre sociale. »

Un ambulancier dans une combinaison blanche traverse pour rejoindre son ambulance. © LaMeute - Jaff

 

Nous y voilà. Une semaine tout juste s’est écoulée depuis qu’Emmanuel Macron, face caméra, a annoncé un durcissement des mesures de confinement. Les rues se sont vidées — enfin pas vraiment ; et les gens ont arrêté de travailler — enfin… pas vraiment non plus.

Que dire de tout cela ? Du climat ambiant. Des morts. Et de nos solitudes face au désastre. Plus encore : par où commencer ?


Depuis un appartement parisien d’un peu moins de 20m2, il est moins facile de mettre ses idées au clair que depuis un jardin paisible, au vert, loin des tracas de la capitale. Ça demande plus d’énergie. Plus de concentration. Il faut mettre de côté la voix du voisin, qui gueule de rage car il ne sait pas comment il va payer ses factures ce mois-ci. Il faut oublier la musique des derniers bobos du quartier encore là, dans l’immeuble d’en-face, et leurs postures de yoga. Il faut tant bien que mal chercher à oublier ses propres soucis, les personnels et les financiers, puis tenter de se projeter autre part. Loin. Pas ici, entre quatre murs, à ruminer ses petits tracas misérables de la vie. À ne penser que pour sa pomme. Sur ça, tout le monde n’a pas le talent de Mehdi Meklat. Le seul fait de prendre du temps, d'avoir du temps pour y réfléchir, relève déjà du privilège. Peut-être faut-il commencer par-là, d’ailleurs.

Sur le retour des courses un vieil homme profite des derniers rayons de soleil de la rue. © LaMeute - Jaff

Sur le retour des courses un vieil homme profite des derniers rayons de soleil de la rue. © LaMeute - Jaff

Un sans abri dans le Nord de Paris. © LaMeute - Jaff

Un sans abri dans le Nord de Paris. © LaMeute - Jaff

Faut-il en effet commencer par évoquer l’indécence de la bourgeoisie, et de son comportement face à la pandémie ? De cette bourgeoisie qui, sans remords, sans scrupules, sans aucun doute — en fait : sans aucun problème — a déserté les villes pour se réfugier dans ses pavillons de campagne. Non seulement la bourgeoisie a-t-elle déserté les villes, mais aussi a-t-elle abandonné ses appartements, luxueux ou non, qui auraient pu être prêtés à toutes les personnes qui sont au front, à endiguer la contagion, la peur au ventre de refiler le virus à leurs familles. Sans parler des sans-logis, ni des personnes usuellement dans le besoin... Et que dire de cette bourgeoisie vacancière, qui a fait voyager le virus à l’étranger, dans des pays sans réels services de santé ? Empruntant les transports par milliers, multipliant les contacts, décuplant les transmissions. Semant quelques petites graines de mort, bonant-malant, à travers champs. Avec toute l’insouciance qu’on lui sait. Faut-il, oui, commencer par pointer du doigt cette prise de risque inconsidérée ? Une fuite — non ! — un exode bourgeois qui, jumelé au manque cruel de sentiment de solidarité qu’il vient traduire, a eu, et a encore des conséquences irrattrapables sur la progression du virus ? Que dire du coup de la différence de traitement médiatique sur ces parisien•nes qui veulent profiter du soleil et celleux qui traînent en bas des bâtiments ? Présenté•es comme sans scrupules et sans cervelle, ce qui en dit aussi bien long.

Lundi 16 mars, une queue devant un Lidl du Nord de Paris. © LaMeute - Jaff

Lundi 16 mars, une queue devant un Lidl du Nord de Paris. © LaMeute - Jaff

Comme le rayon des pâtes, le rayon des papiers toilettes à également été vidé. © LaMeute - Jaff

Comme le rayon des pâtes, le rayon des papiers toilettes à également été vidé. © LaMeute - Jaff

Et que dire en effet de ce que cela induit des mentalités ? « Chacun-e pour soi ! Fuyons la ville et laissons-la aux pauvres après l’avoir saignée de ses vivres ! » Car il nous faudrait parler de ça aussi. Des gens qui, tout d’un coup, ont découvert l'existence des paquets de pâtes et du PQ. Qui se sont accaparé tout le stock de masques, au détriment des hôpitaux, où l’on contracte le virus, faute de protections. En termes d'alimentation, nous aurions pu nous inspirer de l'Italie, mettre au point un système de courses à distances et à venir récupérer une fois préparées par les salarié-es, évitant ainsi au maximum tous les contacts. Non, ici, il n'y en a que pour sa gueule. Au diable le virus, laissez-moi donc courir mon marathon chaque matin. 

Parlons aussi du [télé]travail et de tout le reste. Parce que si l’on se pose un instant : qui, dans cette société, peut se payer le luxe de séjourner à la campagne en plein confinement ? 1) Les gens qui y possèdent une maison, déjà, de manière très pragmatique ; 2) les gens qui peuvent s’y rendre ; 3) les gens qui ne travaillent pas, ou plus, ou qui peuvent travailler à distance. De ces trois éléments, apparaît une autre question, plus essentielle : qui, dans cette société, NE PEUT PAS se payer ce luxe ? Et alors là…

Un ambulancier dans une combinaison blanche traverse pour rejoindre son ambulance. © LaMeute - Jaff

Un ambulancier dans une combinaison blanche traverse pour rejoindre son ambulance. © LaMeute - Jaff

Les services de santé, évidemment, sont tout en-haut de la liste actuellement. Mais aux yeux de la bourgeoisie, il n’y a que ceux-là qui comptent. Sans doute parce que, chez les cadres des hôpitaux, elle y trouve ses semblables. 
Reste que quand, tous les soirs à 20h, elle s’émerveille de ce que le reste de la population les applaudisse, jamais il ne lui vient en tête que le monde autour de sa bulle est plus complexe. Plus brutal. Que dans la « guerre » menée par Macron, les services de santé ne sont pas les seuls à tenir la première ligne de défense. Que l’hôpital ce n’est pas que les riches chirurgien-nes, les grandes pontes de la profession, mais aussi et surtout des petites mains à qui on ne s’adresse pas, jamais -- et que l’on entend toujours moins que les médecins. Comme elle en a l’habitude, la bourgeoisie a bien pris soin d’effacer de son récit les populations les plus précaires qui continuent de travailler : les caissières, les livreurs, les services municipaux, les ouvrier-es en usine et dans le bâtiment, les femmes de ménage, les auxiliaires de vie… Toute cette population qui, dans certains secteurs, est quasi exclusivement composée de femmes  et/ou de personnes racisées. Jetées entre-temps en pâture à une police survoltée, abondant d’amendes des quartiers déjà en manque de tout. Comme le disait Assa Traoré plusieurs mois avant tout cela : l'époque des tirailleurs est toujours d'actualité.

Et pendant ce temps-là leurs cadres, eux, principalement des hommes blancs, sont en pantoufles quelque part au fond d’un jardin sur l'île d'Oléron. Il y a bien des métiers qui ne sont pas essentiels à la survie de la population, mais qui continuent de tourner sans que rien ne bouge. En fait, ils sont essentiels, si, ça ils le sont : ils sont essentiels à la survie et au maintien de la bourgeoisie. Au confort des plus riches. Pour qui “corona” évoque plus le nom d’une bière chère et pas bonne, que le risque de la mort subite.

Un livreur à vélo raconte qu’il est atteint du coronavirus, et que durant la période de confinement, il a effectué 150 livraisons. Il y a plusieurs choses sur lesquelles il faut s’interroger, mais surtout celles-ci : le confort de quelques citadin-es en manque de sushis mérite-t-il le risque de mort ? De la mort du livreur, mais aussi de celles et ceux qu'il a livré ? Ce livreur aurait-il chopé le virus s’il n’avait pas eu à travailler ? Et les managers dans leurs salons, derrière leurs ordinateurs, au fond des jardins : ils l’ont chopé ce foutu virus ? Encore et toujours, ce sont les mêmes personnes qui font prendre les risques aux autres mêmes personnes. Des jeunes précaires, des gens de quartiers, des migrant•es sous-payé•es, exploité•es. Tout se bouscule, et les conclusions en font de même. 

Le coronavirus, c’est bien la guerre. Mais c’est la guerre sociale. La guerre sociale par réalités interposées. D’un côté le repos, le calme, la tranquillité de celles et ceux qui, dans la bouche de Macron, « réussissent ». De l’autre, l’anxiété, la précarité, le chômage, la maladie et la mort qui rôde pour celles et ceux « qui ne sont rien ». Qui continuent de travailler. De créer du profit et du bénéfice, coûte que coûte. Et dans ce que ces temps rappellent de la nuit, de la tempête, de tout ce qui est obscur et dangereux, les choses se révèlent avec une clarté sans pareil, semblables à l’éclaircie au milieu de l’orage : avec le coronavirus s’accentuent les inégalités. Plus encore : le virus révèle au grand jour, aux yeux de tout le monde, toutes les incohérences d'une société humaine elle-même malade

Un vendeur sur le marché d'Angélique Compoint dans le 18eme. © LaMeute - Jaff

Un vendeur sur le marché d'Angélique Compoint dans le 18eme. © LaMeute - Jaff

Ça ne peut que finir par se voir. Et plus personne ne comprend déjà rien à l’ordre des choses, en même temps que ces vérités nous éclatent à la figure. Comme ce moment précis, où nous avons tous et toutes sauté de joie, ayant compris à tort dans la bouche de Macron que nous n’allions plus payer de loyers et de factures, comme c’est le cas des entreprises. Vérité limpide oui, car c’est NOUS qui ne devrions plus payer pour les dérives d’une économie en totale contradiction avec celles et ceux qui produisent. Comme si la priorité totale et absolue était l’économie, et non pas le maintien de millions de vies humaines que l’économie -tout juste- est censée chercher à améliorer au quotidien. Ce qu'elle ne fait déjà pas en temps normal. 

Un bar PMU dans le Nord de Paris, fermé comme tous les bars et restaurants. © LaMeute - Jaff

Un bar PMU dans le Nord de Paris, fermé comme tous les bars et restaurants. © LaMeute - Jaff

Car il faut aussi retenir cela : si le néolibéralisme n’est pas responsable de la création du virus -- n’en déplaise aux complotistes en manque de buzz -- ce sont ses visages qui sont responsables du désastre en cours dans les hôpitaux, après avoir fermé des dizaines de milliers de lits sur les dernières décennies. Que les Français-es se servent de leur stock de papier-toilette pour s’essuyer la merde qui les a empêché de voir des infirmières se faire matraquer au sol, il y a quelques mois de cela. Tout le malheur du monde devrait s'abattre sur ceux et celles qui ont donné ces ordres, et qui aujourd'hui nous offrent pour seul salut un "état d'urgence sanitaire" suffisamment liberticide pour inquiéter les ONG. Pour l'heure, sauver les hôpitaux, c'est surtout faire ce qu'on nous demande : limiter la contagion. Pensons également à donner notre sang, pour ceux et celles qui en ont le droit sans avoir à mener bataille et à faire des sacrifices (la communauté LGBT doit encore se plier à un an d’abstinence sexuelle, NDLR). Les hôpitaux en manquent cruellement, pour toutes les maladies qu'on y soigne déjà en temps normal. 

Une pensée doit aussi s'envoler par-dessus les barbelés des prisons, dans lesquelles les mutineries se multiplient tant le confinement est une horreur de plus ajoutée à l'enfer carcéral. Et les 5000 libérations ordonnées par Nicole Belloubet ne doivent pas détourner nos regards de ce qui se passe derrière les murs, dans les cellules. 

Viendra un temps où nous demanderons des comptes. Mais pour l’heure, soyons les plus responsables, soyons solidaires. 
Et surtout, restons chez nous. 
Profitons de nos familles quand elles sont là et en bonne santé. Emerveillons-nous des élans de solidarité qui fleurissent dans nos quartiers. Profitons de celles et ceux qu’on aime, que ce soit de coeur ou de classe.

Et préparons la revanche. 

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