SPORT POUR TOUTES !

Lors d’une action, mêlant politique et sport, à Lyon le 3 juillet. ©Baume

Lors d’une action, mêlant politique et sport, à Lyon le 3 juillet. ©Baume

Retour sur l’action du syndicat des femmes de confession musulmanes à l’encontre du réseau de salles de sport Interval, qui refusait alors l’accès de ses services aux femmes qui portent le voile. Après huit mois de dialogue de sourd, vendredi 3 juillet en fin d’après-midi, les militantes du syndicat des femmes musulmanes de l’Alliance Citoyenne Grand Lyon sont passées à l’action. Envahissant le hall d'une salle Interval du centre de Lyon, et exigeant l'autorisation du port du hijab de sport, ces femmes témoignent également des discriminations qu’elles ont pu subir et de leur volonté d’auto-détermination.

Des tentatives de dialogues restées lettre morte

Fin 2019, les militantes d’Alliance Citoyenne apprennent que les salles de sport du réseau Interval - et ses 11 salles principalement implantées à Toulouse - refuse l’accès à ses services aux femmes portant le voile. Elles envoient alors un mail pour demander un rendez-vous auprès de la direction, qui restera sans réponse. Le 12 décembre, elles se rendent sur place et filment le refus auquel elles sont confrontées, et le diffusent sur les réseaux sociaux. Le 23 janvier 2020, à l’occasion de leur assemblée générale, le syndicat décide de mener une première action -digitale- à l’encontre de l’entreprise : il s’agira d’appeler le plus de personnes possible à mettre de mauvaises notes sur le service de référencement de Google. En mars, cette méthode fera ses preuves dans des conditions similaires auprès des salles du réseau Keep cool, qui changera le règlement intérieur de ses 258 salles après avoir reçu de nombreux commentaire négatifs.

Cela n’a pas été aussi simple pour Interval : les commentaires négatifs auront pour effet de réveiller la direction, qui s’engagera alors à changer son règlement et à mettre en vente des foulards adaptés à la pratique sportive. Les militantes du syndicat des femmes musulmanes croient à une victoire. Dans le doute, elles demandent des précisions sur ce fameux foulard et réclament à nouveau un rendez-vous. En vain. 

De retour sur place en juin, pour s’enquérir du changement du règlement, une militante se voit refuser l’accès de la salle avec son hijab de sport. Elle découvre alors le couvre-chef proposé : celui-ci ne couvre ni les cheveux ni le cou et par conséquent, ne satisfait pas les besoins des femmes qui portent le hijab. Un mail de réclamation est envoyé et une action est organisée dans la foulée.

Lassées de voir leur droits bafoués, leurs demandes si peu considérées, les membres du syndicat des femmes musulmanes passent à la vitesse supérieure.

Les militant•es s’apprêtent à rentrer dans l’enceinte du club de sport. ©Baume

Les militant•es s’apprêtent à rentrer dans l’enceinte du club de sport. ©Baume

Des squats et des abdos font plier Interval

Un appel est diffusé en interne auprès de sympathisant•es lyonnais•es : rendez-vous vendredi 3 juin, sur la place Mazagran à Lyon. Après un briefing sur le déroulement de l’action, trois groupes partent successivement. Le premier préparera le terrain avec la responsable d’accueil avant l’arrivée du deuxième groupe, composé des militantes du syndicat. Le troisième, contenant le gros de la troupe, envahira le hall de la salle au signal donné. Une quarantaine de militantes et allié•es confondu•es prennent place dans le hall pour une séance de sport improvisée. Une banderole « Sport pour toutes » est suspendue sur la balustrade du premier étage. Le mot d’ordre des manifestantes : nous ne bougerons pas tant que les droits des femmes musulmanes ne seront pas respectées.

Les appels se succèdent au rythme d'un cours de stretching improvisé. ©Baume

Les appels se succèdent au rythme d'un cours de stretching improvisé. ©Baume

Les employé•es du lieux s’agitent, un coach responsable arrive, interpelle les militantes et s’énerve en leur demandant de quitter les lieux. Après qu’elles lui aient expliqué la situation, ce dernier consent à appeler son employeur, qui à son tour refuse de discuter avec les militantes. Les minutes s’écoulent, la ferveur du groupe ne s’émousse pas. On enchaîne les fentes, les squats et les abdos. Quelques usagères se joignent également à la troupe pour montrer leur soutien. On parvient à avoir l’avocat du propriétaire des salles Interval au téléphone qui s’étonne de la situation : pour lui, l’affaire était réglée. Les militantes du syndicat des femmes musulmanes devront lui rappeler les nombreuses lettres et demandes de rendez-vous sans réponses et surtout celles où elles demandaient des précisions sur le hijab de sport proposé à la vente.

Bien qu’il déclare son client « dans des dispositions favorables », il faudra presque une heure d’appel pour obtenir la garantie d’une réponse écrite, le vendredi suivant.

Les militantes et leurs allié•es quittent la salle sans être totalement satisfaites.

Sur le comptoir d’accueil, un présentoir affiche la « tenue correcte exigée » des salles de sport Interval, une militante modifie le document et rajoute un hijab au personnage représenté. ©Baume

Sur le comptoir d’accueil, un présentoir affiche la « tenue correcte exigée » des salles de sport Interval, une militante modifie le document et rajoute un hijab au personnage représenté. ©Baume

Une jeune militante du syndicat agite deux drapeaux d’Alliance Citoyenne. ©Baume

Une jeune militante du syndicat agite deux drapeaux d’Alliance Citoyenne. ©Baume

Une semaine plus tard, le verdict tombe et c’est une victoire : le port du hijab de sport est une bonne fois pour toutes autorisés dans les salles du réseau Interval. Rappelons que malgré les victoire obtenues par Alliance Citoyenne dans d’autres salles de sport comme Wellness ou Keep Cool, de nombreuses salles de sport continuent à exclure les femmes portant le hijab. Les antennes grenobloises et lyonnaise ont rassemblé ces informations sur des cartes interactives (carte lyonnaise en cours d’élaboration, carte grenobloise). En 2018, la décision du défenseur des droits dans un cas similaire réaffirmait le caractère discriminatoire d’une telle interdiction.

Alliance citoyenne et le syndicat des femmes musulmanes : un travail au long-court pour les droits civiques des minorités

Alliance citoyenne est une association fondée en 2012. Elle cherche à rassembler des citoyen•nes qui luttent pour l’amélioration de leurs conditions de vies. Parmi les valeurs revendiquées, il y a la priorité donnée à la parole des concerné•es et leur auto-organisation. Présente sur Grenoble, Lyon et Aubervilliers, elle est divisée en plusieurs syndicats de quartiers, de locataires, écologistes, de personnes porteuses d’handicaps et de femmes musulmanes. 

Ce dernier est fondé en 2018 face au constat accablant des discriminations que subissent les femmes musulmanes qui portent le voile aujourd’hui en France. La liste des exclusions qu’elles subissent est longue : le syndicat des femmes musulmanes se concentre sur l’accès au sport, l’accès à l’emploi et à la formation et l’accès aux études supérieures. Pour cela, elles organisent de nombreuses assemblées générales, des rassemblements, des pétitions, rejoignent les manifestations contre les violences sexistes et sexuelles, interpellent les décideur•euses et si cela ne suffit pas, elles passent à l’action.

Les actions de l’association nécessitent un maximum de préparation en amont. ©Baume

Les actions de l’association nécessitent un maximum de préparation en amont. ©Baume

L’été dernier, les Alliances citoyennes de Grenoble et Lyon ont organisé des “actions piscines” pour protester contre l’interdiction des maillots couvrants, avec espoir qu’elles reçoivent enfin une réponse aux lettres adressées aux élus qui étaient restées elles-aussi sans réponse. Le 3 août 2019, quelques militantes s’invitaient à la piscine de Villeurbanne vêtues de maillots couvrants pour certaines, et moins couvrants pour d’autres. Elles y accrochaient alors une grande banderole « Mon corps, mon maillot » sur les grilles de l’établissement sportif. Cette action faisait suite à deux évènements du même type réalisés par les Grenobloises qui finiront par obtenir un rendez-vous à la mairie de la ville. Si ces procédures n'aboutissent pas au changement du règlement des piscines locales, le mode d’action constitue les prémisses d’un mouvement national : il sera repris par des militantes parisiennes et fera grand bruit.

Bien que difficilement quantifiable, l’impact psychologique de telles actions est notable et peuvent contribuer à réduire un sentiment d’isolement et créer des solidarités encourageante. Quand les militantes quittent la salle, elles ne connaissent pas encore le dénouement de l’affaire, mais elles s'enthousiasment du nombre d’allié•es qui étaient présent•es. Une d’entre elle confie qu’elles se sentent parfois seules dans leur combat, face aux déferlements de commentaires haineux qu’elles reçoivent quotidiennement sur les réseaux sociaux, face à la pression médiatique énorme qui pèse sur ce genre de sujets mais aussi dans les milieux militants en général.

Les militantes et leurs allié•es prennent la pose dans le hall. ©Baume

Les militantes et leurs allié•es prennent la pose dans le hall. ©Baume

Malgré la médiatisation non-négligeable dont ces actions ont fait l’objet, la cause n’a pas avancé. Il faut dire que le traitement qui en avait été fait est accablant : Marlène Schiappa, Secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations jusqu’au récent remaniement, déclarait dans une interview donnée sur Europe 1 que l’interdiction du burkini ne représentait pas une discrimination. 

Elle accusait également les militantes de l’Alliance Citoyenne d’inciter à « créer une nouvelle norme qui consisterait à se couvrir en présence d’hommes », niant totalement le message du syndicat des femmes musulmanes qui se centre précisément sur la liberté de chacune à se couvrir ou pas. Elle reprenait à cette occasion les éléments d’une rhétorique centrée sur le respect des règles dites universalistes, que l’on entend souvent dans la bouche des membres gouvernement français, cachant mal un certain racisme. On en trouve un exemple récent lorsque le nouveau premier ministre Jean Castex parle de ses valeurs au JT de TF1 : « laïcité et autorité ». 

On peut aussi s’interroger sur l’utilisation du cliché de l’homme musulman -d’origine maghrébine si possible,- délinquant et agresseur sexiste comme argument pour dévaloriser le combat de ces femmes. Le raccourci raciste nous paraît évident au premier abord, mais en plus de cela, ces propos réitèrent violemment une vision des femmes musulmanes forcément soumises et les prive de la responsabilité intellectuelle de leur militantisme.

Sur des pancartes, on peut lire : « J’ai choisi mon voile, je choisi ma salle » et « #je ne suis pas qu’un voile ». ©Baume

Sur des pancartes, on peut lire : « J’ai choisi mon voile, je choisi ma salle » et « #je ne suis pas qu’un voile ». ©Baume

Le travail mené par Alliance Citoyenne démonte les arguments avancés contre le port du burkini et/ou du hijab de sport. Par le biais d’infographies ou de rapports, les problématiques de laïcité, d’hygiène et de sécurité sont décryptées et remises à leur juste place. Un récent rapport nommé « Maillot de bain couvrant dans les piscines publiques, une démarche d’égalité » envoyé aux élu•es Villeurbanais•es et Lyonnais•es, insiste sur la mauvaise utilisation dont le concept de laïcité est parfois victime. La laïcité garantit en effet la liberté de conviction de chacun•es.

Le rapport 2018-2019 de l’Observatoire de la laïcité rappelle en outre que « l’interdiction d’une tenue de bain de type burkini dans une piscine publique ne peut se fonder sur le principe de laïcité ».

En s’appuyant sur des expériences menées à Rennes et dans d’autres pays où le port du maillot de bain couvrant est autorisé, le rapport d’Alliance Citoyenne prouve -qu’utilisé dans le bonnes conditions et comme n’importe quel autre habit de sport aquatique- le burqini ne pose ni de problème d’hygiène, ni de sécurité. 

Plus tôt dans l’année, le syndicat des femmes musulmanes lyonnaises publiait un rapport intitulé « Scènes d’intolérance ordinaires dans le Grand Lyon » rassemblant de nombreux témoignages de racisme supposé ou avéré qui ont privé des femmes portant le hijab d’un accès au soin, à l’emploi et aux loisirs. Un tel travail d’étude est indispensable dans la mesure où l’administration française s’ancre depuis des années dans le déni des discriminations ethno-raciales. En refusant de les définir, elle refuse de les combattre efficacement [Pour aller plus loin sur ce sujet : La lutte contre les discriminations ethno-raciales en France. De l’annonce à l’esquive (1998-2016), de Cerrato Debenedetti Marie-Christine].

Malika et Salwa, deux générations pour un même combat : la liberté

Malika, 21 ans, étudiante en PACES, était chargée des négociations pendant que les militantes et leurs allié•es faisaient des pompes pour la bonne cause. Face à l’énervement du coach et le refus de dialogue du directeur de la franchise, elle a su garder son calme et mener la barre pendant les 40 minutes d'entretien téléphonique avec l’avocat d’Interval. Lorsqu’on l’en félicite, elle aborde un large sourire, sans oublier de rappeler qu’elle a suivi une formation à la négociation dispensée par Alliance Citoyenne quelques jours plus tôt.

Dans l’entourage proche de Malika, sa mère et sa grand-mère portent le voile mais ce n’est pas son cas. Lorsqu’elle rentre en Algérie visiter le reste de sa famille, certaines femmes ne le portent pas et elles n’en sont pas inquiétées. Malika rappelle l’extrême diversité des situations des femmes qui portent le voile dans le monde. Pour elle, si des situations où le hijab est imposé existent, leur nombre est minime dans le contexte social et géopolitique français. Elles relèvent d’une multiplicité de facteurs psycho-sociaux et ne peuvent pas être résumés au fantasme du père ou du mari autoritaire. Malika précise que ces cas font l’objets de contestations au sein même de la communauté musulmane.

La jeune femme aimerait revêtir le hijab. Sa foi l’inspire dans sa construction personnelle et lui donne envie de porter le voile au quotidien. Mais quand il lui arrive d’aller faire les courses avec, elle sent que les regards pèsent lourd sur sa personne. Avec les actions menées par le syndicat, elle réclame le droit de choisir de le porter sans que cela lui cause préjudice.

Comme ses camarades, elle est satisfaite du déroulé de l’action du 3 juillet qui ont réuni plus de personnes que lors de précédentes actions. Toutefois, elle ne peut s’empêcher de relever une certaine attitude de la part de ses interlocuteurs successifs : tous ont cherché à s’entretenir avec un homme plutôt qu’avec elle ou une autre représentante. Ce comportement illustre une idée de subordination féminine, bien ancrée dans l’inconscient masculin.

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Un peu plus loin, Salwa, 46 ans, titulaire d’un doctorat en droit européen, a rejoint l’Alliance Citoyenne et le syndicat des femmes musulmanes de la même manière que Malika : par le biais d’un tractage dans un grand centre commercial lyonnais. Arrivée en 2001 en France pour finir ses études après un master à l’Université de Mossoul, elle retire rapidement le foulard qu’elle portait en Irak. Car lorsqu’elle arrive à Lyon, moins de deux semaines après les événements du 11 septembre à New York, elle craint plus que tout pour sa sécurité. Malgré le conflit intérieur que cela représente pour elle, Salwa ne se sentira pas autorisée à le remettre avant d’avoir passé sa soutenance de thèse, 16 ans plus tard.

Elle a essayé à plusieurs reprises de porter son hijab, mais lorsqu’elle interroge la conseillère pôle emploi à ce sujet, celle-ci lui déconseille. Alors qu’elle travaillait en tant que conseillère juridique pour l’entreprise de son mari spécialisée dans l’aide à domicile, Salwa a reçu de nombreuses plaintes de la part des client•es, qui s’offusquaient du voile que portaient certaines employées. Alors qu’elle les défendait avec le tact et l’efficacité que sa formation d’avocate lui confère, ses interlocuteurs la félicitaient d’un ton paternaliste pour son français presque parfait, malgré l’accent. Iels l’érigaient en modèle par comparaison aux employées renvoyées, sans savoir qu’un hijab paraît également sa tête.

Mère d’une petite fille de 2 ans, elle s’inquiète de ce que ces attitudes et politiques discriminantes lui feront rater : sorties scolaires, piscine etc. Elle conclut : « Le voile ça sera son choix. Mais si elle le choisit, je ne veux pas qu’elle souffre comme moi ».

Suite à l’action menée à Interval et sa médiatisation, l’Alliance Citoyenne a subit une vague de cyber-harcèlement. Des centaines de commentaires haineux s’accumulent sous leurs publications Facebook. Ignorée, déformée, dépolitisée, confisquée par une certaine partie de l’opinion et des pouvoir publics, la lutte contre les discriminations islamophobes et sexistes a encore du chemin à faire, même à gauche. Réappropriée par les premières concernées comme Malika, Salwa et les militantes de l’Alliance Citoyenne, son importance est indiscutable et notre soutien devra y être indéfectible.

©Baume

(Certains visages et prénoms ont été anonymisés à la demande des concerné-es.)

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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et plusieurs jours de travail cumulées.

Reportage, texte et Photos : Baume;

Relecture et Mise en page : Mes;

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