Psychiatrie et coronavirus : des angoisses étouffées

Grève Générale Jour 2. Dans le ciel au dessus du cortège, deux mouettes se lancent à la poursuite du drone de la Préfecture Paris. 10.12.2019 ©LaMeute -Naje.

Depuis le début du confinement, les hôpitaux psychiatriques ont dû se réorganiser pour continuer à garantir la santé mentale de leurs patient.es et éviter une propagation du coronavirus en interne. Une mission difficile dans un domaine où le contact humain est la base de tout soin, et où les moyens manquent plus que jamais en temps de crise sanitaire. Le confinement révèle ainsi la galère du « parent pauvre de l’hôpital ».

Camille* est infirmière au centre hospitalier de Montperrin, à Aix-en-Provence. Parmi les missions qui rythment son travail quotidien : les discussions avec les patient.es, la prise en charge des chambres d’isolement, la distribution de médicaments ou encore, l’encadrement d’activités collectives. Depuis l’annonce du confinement le 16 mars dernier, elle passe beaucoup plus de temps à rationner les cigarettes et à récupérer les affaires déposées par les familles devant la grille, qu’à parler avec les personnes internées. « La clope, c’est quelque chose d’essentiel pour les patient·es en centre », affirme-t-elle. Mais la denrée se fait rare puisque ces dernier·es n’ont plus le droit de sortir, et les familles ne peuvent plus venir non plus. « Légalement, on ne peut pas utiliser leur argent pour aller leur acheter quelque chose. Heureusement qu’il y a des associations qui peuvent prêter aux patient·es parfois. Mais on est obligé de leur donner une seule cigarette par heure pour rationner. Du coup, on bricole en leur proposant de patchs et des gommes ».

Le centre hospitalier de Montperrin a décidé, dès le début de la crise, de fermer les entrées et sorties des patient·es ainsi que toutes visites (depuis mi-avril, les entrées recommencent doucement). Les règles adoptées concernant les entrées de nouveaux patients diffèrent selon les centres. En revanche, tous les établissements renvoient davantage de patient.es chez eux -lorsque leur état est jugé stable. L’objectif est d’éviter d’avoir trop de malades confiné·es si une vague de contamination arrive en interne. Cela permet également de libérer des lits si des patient·es attrapent le virus. Des unités dédiées au Covid ont donc été mises en place. « On a eu peur d’une situation comme dans les Ehpad si on ne faisait pas de la place, mais pour le moment ça n’est pas le cas », explique un psychiatre, membre du Collectif Inter-Hôpitaux.

« Pour les personnes qui sont arrivées quelques jours avant le confinement, ça a été difficile parce qu’elle se sont retrouvées bloquées », avoue Camille. La situation étant déjà compliquée pour nombre de soigné·es, la tension monte depuis le début de la crise sanitaire.

« Les patient·es nous posent beaucoup de questions. Iels n’ont aucune notion de ce qu’il se passe. Certain·es ne nous croient même pas parce qu’iels ne sont pas sortis pour voir l’effet du confinement dans toute la ville. Iels sont en colère contre nous : il y a beaucoup plus de violence, la tension est palpable».

La jeune infirmière s’inquiète surtout pour les toxicomanes interné·es. « Ceux et celles qui ne peuvent plus consommer parce qu’iels ne sortent plus et que les échanges à l’intérieur ne se font plus, commencent à vraiment mal vivre la situation ». Et le fait que les soignant.es soient passé·es de la simple blouse à la protection intégrale n’aide pas. Les règles de confinement et les gestes barrières sont difficiles à faire appliquer à des patient.es fragilisé.es psychiquement. « Pour les masques, on donnait les chirurgicaux à tous·tes les patient·es au début. Puis on a dû passer d’un masque toutes les quatre heures à un par jour…», explique Camille. Même problème de protection pour Fabienne*, cheffe de service dans un centre hospitalier de l’Ouest.

« Ici, les soignant·es ne sont pas testé·es et nous manquons évidemment de masques. Ceux que l’on avait au début de la crise, nous les avons donnés à un CHU, davantage dans le besoin. Nos soignant·es s’en sont donc fabriqués en tissu eux-mêmes ».

A Montpellier, en revanche, tous les nouveaux·elles patient.es entrant en psychiatrie sont testé.es, témoigne une soignante d’un centre hospitalier sur place. Encore une fois, la crise se gère selon les moyens de chaque établissement et les consignes des différentes Agence régionales de Santé (ARS), qui ont pour mission le pilotage de la politique de santé dans chaque région. Ce qu’il en ressort du terrain, c’est une communication au compte-goutte et du bricolage, selon les ressources de chacun.

Les moyens manquent en termes de personnel également, avec des arrêts qui se multiplient. « On a eu plusieurs cas de Covid parmi les soignant·es avec une dizaine d’arrêts maladie. Il est vrai qu’on s’est sentis moins protégés que les hôpitaux généraux », confie cette soignante. « Chez nous, c’est plus de 150 arrêts sur mille personnes », rapporte Camille (ndlr : informations recueillies le 11 avril). Ces arrêts concernent des soignant·es jugé·es à risques ou ne pouvant pas maintenir leur travail avec la garde d’enfant à la maison.

Il est vrai qu’on s’est sentis moins protégés que les hôpitaux généraux
— une soignante de montpellier

Pour beaucoup de patient.es en psychiatrie, le suivi avec les psychologues se fait à présent par téléphone puisque ces dernier·es sont nombreux·ses à télétravailler à cause du confinement. Mais comme le décrit Romain, psychologue dans un centre médico-psychologique dans le Val-de-Marne, la logistique est laborieuse. « Je télétravaille depuis le début du confinement. Du coup j’appelle les patient·es, mais en masqué pour qu’ils n’aient pas mon numéro, et le personnel sur place doit les faire venir dans mon bureau -où je ne suis pas- pour qu’iels puissent parler plus tranquillement que dans leur chambre. Iels sont inquiet·es, c’est certain. Certains ont peur de ne plus recevoir les aides sociales du fait des rendez-vous qui sautent avec les assistantes sociales.» 

Il faut également penser à tous les patient.es qui suivent des soins thérapeutiques dans les structures extra-hospitalières, comme les centres médico-psychologiques (CMP), les hôpitaux de jour ou les Centres d’Accueil thérapeutiques à temps partiel (CATTP). Ces structures proposent des accompagnements thérapeutiques mais les patient.es n’y dorment pas. Avec le confinement, la plupart de ces établissements sont fermés, ou en service minimum pour certains CMP. Le suivi est réalisé surtout par téléphone. Des consultations d’urgence ou visites de contrôle à domicile se maintiennent, mais la prolongation du confinement risque de réellement peser sur l’état des patient.es qui sont habitué.es à avoir un contact régulier avec les soignant.es.

Manifestation interprofessionnelle. Paris. 19.04.2018 ©LaMeute - Naje.

La crainte du post-confinement

C’est plutôt quand le confinement s’arrêtera que cela va être compliqué
— Une cheffe de service dans l’Ouest

Face à la limitation du flux d’entrées et de sorties de patient.es, beaucoup craignent un post-confinement très compliqué. Pour certain.es psychiatres, cette stratégie relève du tri de patient.es et force les soignant.es à pousser vers la sortie des personnes qui mériteraient une hospitalisation plus longue. « On est en sous-occupation par rapport à d’habitude”, explique Fabienne. “L’arrêt des consultations médicales a un effet important. Du coup, ce n’est pas la crise tout de suite pour nous. C’est plutôt quand le confinement s’arrêtera que cela va être compliqué», poursuit-elle.

« C’est vrai que j’appréhende plus l’après-confinement que le présent. Les personnes malades comme moi sont habituées à l’enfermement donc personnellement je le vis plutôt bien », témoigne Lucille, 25 ans. Elle souffre de schizophrénie mais n’est pas hospitalisée. Elle est donc confinée chez elle, en famille. Lucille a des rendez-vous mensuels avec sa psychologue et son psychiatre. Elle suit également un traitement - dont les ordonnances ont été prolongées pour les personnes ayant des affections de longue durée. Sa psychologue réalise les consultations par visio-conférence mais son psychiatre, lui, a décidé de garder ses consultations en réel. « J’ai eu peur au début mais nous respectons bien les gestes barrières : il porte un masque et puis il demande aux patient·es de vérifier s’iels n’ont pas de fièvre ». Finalement, Lucille avoue que le contact humain reste la meilleure chose pour un suivi vraiment efficace.

Si la situation de Lucille est stable, cela est loin d’être le cas pour tout le monde. La fermeture de certaines structures extra-hospitalières et autres établissements d’accueil fait sortir du radar un grand nombre de personnes fragilisées. Comme celles n’ayant pas de portables pour assurer les suivis, ne disposant pas d’un environnement confortable ou qui sont à la rue.

Grève Générale Jour 1. Paris. 05.12.2019 ©LaMeute - Naje.


“SI ON ÉTAIT PARTI D’UN SYSTÈME FLORISSANT, CETTE CRISE N’AURAIT PAS EU LE MÊME EFFET”

Pour Géraldine, infirmière en psychiatrie, cette situation est inadmissible et révélatrice de la misère du secteur. « Cette stratégie de renvoyer les patient·es stables chez eux et de tout focaliser sur les patient·es Covid n’est pas tenable. On ne fait pas ça uniquement parce que nous sommes en crise, on le fait parce que nous n’avons pas les moyens en interne, que ce soit matériel ou humain. Si on était parti d’un système florissant, cette crise n’aurait pas eu le même effet. On va devoir plus travailler après, avec des patient·es fragilisé·es parce qu’on aura fermé beaucoup de nos structures extra-hospitalières pendant le confinement», lâche-t-elle. Géraldine travaille normalement dans un CMP mais a été envoyée dans l’hôpital dont elle dépend car c’est le service minimum dans son centre. Son constat est simple :

« On aurait voulu continuer à être près de nos patients, mais avec du matériel ».

Elle est elle-même tombée malade et déclare avoir dû faire des pieds et des mains pour être testée. Elle dénonçait déjà cette situation dans une vidéo réalisée par Basta Mag le 23 mars dernier. 

Comme leur confrères et consœurs des hôpitaux généraux, les soignant.es des hôpitaux psychiatriques étaient en lutte depuis plusieurs années pour protester contre la misère dans laquelle iels se trouvent. En 2018, les grèves du centre hospitalier d’Amiens, et la grève de la faim des soignant.es de celui de Rouvray près de Rouen, sont dans les mémoires de tout le secteur. Les demandes sont les mêmes depuis longtemps : plus de moyens financiers et humains pour pouvoir réaliser leur travail dignement. Comme leurs collègues des hôpitaux généraux, les soignant.es en psychiatrie déplorent la suppression constante de lits (-8% entre 2000 et 2015). 

En janvier 2018, le combat prenait la tournure d’une manifestation nationale du secteur. En 2019, un plan annoncé par Agnès Buzyn -alors ministre de la Santé, promet 40 millions d’euros supplémentaires notamment pour le renforcement de la pédopsychiatrie et l’augmentation de la Dotation Annuelle de Financement (DAF) pour les régions les moins bien dotées. Un chef de service en psychiatrie, membre du Collectif Inter-Hôpitaux, alerte néanmoins sur le problème de « la non-utilisation complète de la DAF de psychiatrie dans certains hôpitaux généraux qui ont besoin de cette enveloppe pour atténuer leur déficit dans les disciplines de médecine, de chirurgie et d’obstétriques (MCO). Nous n'avons toujours pas, à ce jour, de garantie sur l'utilisation à 100% de la DAF pour la psychiatrie. »

Dans certains services, on manque encore de savon et de gants de toilettes. Ce n’est pas glamour mais c’est ça la réalité
— Géraldine

Le constat est aujourd’hui tout aussi alarmant qu’hier. « Dans certains services, on manque encore de savon et de gants de toilettes. Ce n’est pas glamour mais c’est ça la réalité”, décrit Géraldine. “Et ce n’est pas une prime de 1.500 euros qui va apaiser la colère », poursuit-elle. Elle fait référence à l’annonce du 15 avril d’Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, promettant une prime allant de 500 à 1500 euros pour les soignant.e.s ayant pris en charge des patient.es Covid.


Le Collectif Printemps de la Psychiatrie alerte sur les logiciels de recueil de données 

Pour le collectif Printemps de la Psychiatrie, « cette crise met à jour la réalité du service public ». Le collectif, créé en 2019, a d’ailleurs publié le 6 avril dernier une enquête pour alerter sur un autre danger pour leur profession, lié à la crise sanitaire en cours : le recours massif aux logiciels recueils de données des actes en psychiatrie.

Voici un extrait de l’enquête :

« Peu de soignants savent qu’en fournissant des informations sur les logiciels en psychiatrie (tel que Cortexte), ils œuvrent au Recueil d’Informations Médicales en Psychiatrie (RIM-P) qui fonctionne sur le même mécanisme que la T2a. Cet outil (…) sert clairement un régime de gouvernance par les chiffres et prépare la transition vers un système de tarification standardisé en psychiatrie pour janvier 2021. Depuis son instauration en 2006, les usages du RIM-P se sont multipliés : management des équipes et contrôle de l’activité des services et des professionnels par les directions des hôpitaux, amélioration de la performance, benchmarking, négociations avec les tutelles sur les budgets, incitations de l’Assurance Maladie à développer certaines activités de soins considérées comme favorables à la santé publique. »

Les auteur.trices craignent que le confinement serve à exacerber ce virage « tout-numérique », jugé inconcevable en psychiatrie. « En pleine crise sanitaire”, nous répond Benoît -un des auteurs de l’enquête, “on reçoit des mails de nos directions pour nous dire de cocher la case télétravail et de remplir tel ou tel acte. » Un autre membre du collectif va plus loin : « On nous fait comprendre que si on ne le fait pas, il est possible que les financements et les budgets ne soient pas reconduits. »

« Avec l’utilisation massive de ces outils, nous allons vers une marchandisation du soin”, déplore Jean-Pierre, également membre du collectif. “Déjà, nous avons subi l’invasion des neurosciences, bras armé du néolibéralisme, qui réduit les diagnostics à une série de symptômes», explique-t-il. Les praticien·nes y voient une stratégie de dépolitisation de la folie : réduire les pathologies psychiatriques à des histoires de gènes et de neurosciences permet, selon eux, de ne pas prendre en compte tout l’impact de l’environnement social et politique du monde sur les patient.es.

« De la même manière qu’on peut devenir fou et délirer la guerre, on peut délirer le néolibéralisme qui nous met dans des situations psychiques difficiles à cause des conditions de travail, de la misère sociale ou économique par exemple », s’accordent les membres du collectif.

Ils invitent à une grève de de ces outils dans un appel intitulé “Opération déconnexion, halte au codage du soin!”.

« On sait que c’est compliqué de rentrer dans la conflictualité en ce moment mais on estime qu’il faut lutter pour que l’exception ne devienne pas la règle à cause de la crise sanitaire. Nous appelons donc à faire grève le temps quotidien que nous mettons à remplir ces données, le temps volé à notre vrai travail d’accompagnement des patients ».

Grève Générale J4. Paris. 17.12.2019. ©LaMeute - Naje.

- Lou Bes - pour ©LaMeute.

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