Projet de loi de Sécurité Globale : c'est un non général

Environ 15 000 manifestant-es ont répondu à l'appel à manifester émanant d'organisations des droits de l'Homme et de syndicats de journalistes, mardi 17 novembre, contre la PPL sur la Sécurité Globale et sa disposition phare -l'article 24 - qui vise à limiter la diffusion d'images de policiers. A Paris, journalistes, étudiant-es, Gilets Jaunes et familles de victime de violence policière étaient vent debout contre le projet politique du gouvernement. Un second rassemblement est d'ores et déjà prévu pour samedi prochain. 


L'appel à se rassembler aux abords de l'Assemblée Nationale avait beau avoir été fixé à 18h, les manifestant-es sont venu-es tôt, pour protester contre un projet de loi qu'iels jugent "liberticide". Bientôt, la petite place Edouard-Herriot (7ème arrondissement) sera trop petite pour contenir le cortège.

Dès 16h, les syndicats de la profession journalistique avaient organisé des prises de parole pour dénoncer une proposition de loi discutée à l'Assemblée Nationale, située seulement à quelques mètres - et à quelques camions de gendarmes- de là. Le projet de loi sur la Sécurité Globale -proposé par la majorité de La République En Marche- entend interdire de diffuser "dans le but qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l'image du visage ou tout autre élément d'identification" d'un policier en service. 

Dès 16h, des Gilets Jaunes -qui fétaient en ce jour les deux ans du mouvement- font déja entendre leurs voix. Le mouvement, durement réprimé, a fait depuis longtemps le sujet des violences policières dans le cadre du maintien de l'ordre son cheval de bataille. Plus discrètes, mais qui se détachent de la foule qui s'amasse : des avocates arborant leurs robes et leurs masques noirs -où un petit symbole de pirate se fait apercevoir- clament leur indignation face aux caméras de télévision. 


"C'est pas la manif qui déborde, c'est le débordement qui manifeste"


Au fil des heures, et de la nuit qui tombe, le cortège de la manifestation est rejoint par des étudiant-es, qui manifestaient plus tôt dans la journée contre la loi de Programmation de la Recherche (LPR) et notamment son "délit d'entrave", désormais passible de 1 à 3 ans de prison pour quiconque voudrait “s’introduire sans y être autorisé et dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre” dans un établissement universitaire. Les lycéen-nes et étudiant-es étaient en nombre, débordant jusqu'au boulevard Saint-Germain et la bien nommée rue de l'Université.

Ce n'est ni la première ni la dernière fois, que ces jeunes manifestant-es seront confronté-es aux tirs de gaz lacrymogène des forces de l'ordre, qui répriment une première fois le cortège après une apparition sous les huées de la BRAV-M. La manifestation du jour connaîtra une fin désormais prévisible entre arrestation de journalistes et utilisation du canon à eau.

Au sein du cortège, l'existence des violences policières ne fait pas débat. La posture du gouvernement, beaucoup plus. "Qu'est-ce qui sera jugé comme malveillant? Est-ce que c'est la photo en elle-même ou le titre qui l'accompagne ?", s'inquiète un photographe en pleine discussion avec ses collègues. Si la PPL est votée en l’état, “l'usage malveillant” d'image de policier sera puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Cette mesure s'inscrit dans des entraves répétées à la liberté de la presse depuis ces dernières années : officiellement, "la loi contre les fake news et le Schéma National du Maintien de l'Ordre", rappelle-t-on du côté du Syndicat Général des Journalistes Force Ouvrière (SGJ-FO), officieusement, les arrestations des journalistes, l’assignation à résidence d’un photographe après l'instauration de l'État d'urgence en 2015, etc etc. "Le moment est historique : la profession, difficile à mobiliser, est au rendez-vous", constate Emmanuel Poudart, Secrétaire Général au SNJ [Syndicat National des Journalistes, NDLR].

Un appel à la désobéissance civile


Une question plane, néanmoins : “Où sont les directions de rédactions ?”, s’exclame au micro un autre syndicat. En effet, si nombre de journalistes de terrain -indépendant.e.s ou non- ont fait le déplacement, les chefs des grandes rédactions manquent à l’appel ou se font discrets, bien que dans la presse, de plus en plus d’articles paraissent pour décortiquer ce projet de loi. 

En dehors de cette absence remarquée, “vous avez ici toutes les institutions de journalistes et des droits de l'Homme réunies pour que cette loi ne passe pas", note l'avocat Arié Alimi, membre de la Ligue des Droits de l'Homme. 

De fait, l'opposition à au projet de loi est majeur et international. La CNCDH [Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, NDLR], la Défenseure des droits et à présent l'ONU s'alarment contre le projet de loi de Sécurité Globale qui, en plus de constituer une entrave à la liberté de la presse et à la liberté d'informer, porte atteinte à la vie privée et au droit de manifester avec son article 22 qui permettra le traitement des images issues des drones en temps réel. 

De ces jeunes qui s'asseyent pacifiquement face au canon à eau de la police -rappelant les méthodes d'actions de Extinction Rebellion, aux propos d'une figure du mouvement des Gilets Jaunes, face à l'urgence : "la désobéissance civile doit être le maître mot de l'ensemble de la population française", s'époumone Jérôme Rodrigues. 

Un constat partagé par Amal Bentounsi, qui en dépit des menaces de sanctions judiciaires, appelle à télécharger l'application UVP (Urgence Violences Policières). "Nous appelons à la désobéissance civile car ce n'est pas parce qu'une loi est votée qu'elle serait légale", tranche la militante qui a repris ses études. Elle a entamé sa 4ème année en licence de Droit.

D’autres méthodes de contestations s’expriment aussi, on a récemment vu la Quadrature du Net proposer d’interpeller les député.e.s en mettant à disposition leurs adresses mail et leurs numéros de téléphones (professionnels évidemment). Hier, place Edouard-Herriot certain.e.s manifestant.e.s ont adapté cette méthode et ont interpellé un député Modem qui passait à proximité. S’en est suivi plusieurs dizaines de minutes de discussion animée, filmée de par et d’autre des barrières par les gendarmes et les manifestant.e.s.-

Violences policières : Une guerre des images


En traversant le cortège, notre tee-shirt "Justice pour Adama" nous vaut son lot de compliments et d'encouragements de la part des manifestant-es. "Au-delà de la liberté d'informer, c'est dans les quartiers, là où les caméras sont défaillantes, là où les flics emmènent les jeunes sous des porches", que la question de l'article 24 est primordiale selon Amal Bentounsi. 

"Dans des procédures qui sont encore en cours, l'application  [qui sauvegarde les vidéos captées] est très utile car les portables sont réquisitionnés", poursuit-elle. "J’ai remarqué à plusieurs reprises, lors du visionnage de ces vidéos, que l'annonce de l'utilisation de l'application participe à une désescalade de la violence. C'est pour ça qu'il est important de continuer de filmer la police". 

Les citoyen.ne.s racisé.e.s qui vivent dans les quartiers populaires sont sur-représentés dans le décompte des morts tués par les forces de l'ordre effectué jusqu'en 2019 par Basta Mag

Sans vidéos, le viol subit par Théo n'est pas révélé. Sans vidéos, la mutilation de Mouldi à Villeneuve-la-Garenne n'existe pas. Sans vidéos, Madame Kébé -éborgnée en 2013- reste une anonyme. Sans vidéos, l'agression de Samir -traité de "bicot"- ne sort jamais au grand jour. 

"Sans vidéo, la version des flics auraient gagné", affirme également Fatima Chouviat, la mère de Cédric -dont la mort fut attribuée dans un premier temps à un malaise cardiaque. "Cette loi, c'est la goutte qui fait déborder le vase", dit-elle, "écoeurée". "On dit que nous sommes dans un pays de liberté d'expression mais on ne peut plus filmer !", s'alarme-t-elle.


Un projet politique qui ne dit pas son nom


Dans l'affaire de son fils, la vidéo prise par Cédric Chouviat, ainsi que la caméra piéton des policier-es ont permis de mettre en doute la version policière. Le projet de loi proposé par les député-es du parti présidentiel entend confisquer la seule “arme” (de défense) qui restait à disposition d'une certaine partie de la population. Ce “désarmement” symbolique dans la “guerre des images” -avouée par le député Jean‑Michel Fauvergue (un des auteur-trices de la loi) et ancien patron du RAID- que mène gouvernement et syndicats de police, rend le combat pour la justice davantage inégalitaire qu’il ne l’était auparavant.Vos armes contre nos caméras”, pouvait-on lire sur une pancarte ce mardi soir. “Toute tentative pour conserver sa vie est ainsi transformée en crime”, écrit par ailleurs Elsa Dorlin au sujet de la juridiction coloniale dans Se défendre: Une philosophie de la violence.

"Cette loi représente un pas de plus vers un état sécuritaire", analyse Amal Bentounsi. L’article 22 de la PPL sur la Sécurité Globale permettrait effectivement un infléchissement dans la stratégie actuelle du maintien de l’ordre -déjà fortement orientée vers la confrontation contrairement à d’autres pays d’Europe- en favorisant les arrestations ciblées en pleine manifestation décidées depuis le poste de commandement. “Ce pouvoir ne tolère pas de contre pouvoir (...) des quartiers populaires aux mobilisations sociales", résume Acrimed.

Après avoir cédé sur la législation sur la légitime défense (mise en œuvre dans l’affaire Angelo), puis sur le régime de retraite des policier-es, l’Etat cède une fois de plus à une revendication des syndicats de police. Et cela commence à se voir. Un manifestant interrogeant le député modem M. Isaac-Sibille dénonce :  “Vous faites de la police une organisation capable de faire des lois (...), vous votez les lois que demandent les syndicats de police (...) qui couvrent des bavures et des propos racistes”. Ou comme le disait Kery James : “Entre vous et la rue, y'a plus que les CRS”.

Un rassemblement est prévu pour le samedi 21 novembre, à partir de 14h30 sur le Parvis des Droits de l’Homme.

©LaMeute - Mes et Smoke

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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 4 personnes et environ 20h de travail cumulées.

- Photos : Corto, Smoke

- Texte : Mes, Smoke

- Mise en ligne : Graine

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