Marche contre les violences sexistes : D’une seule voix

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Patricia, 51 ans, 14ème.  Gaëlle, 22 ans, 23ème. Ces 138 femmes, victimes de la violence de leur compagnon ou ex-conjoint depuis le début de l’année 2019, d’après le décompte macabre des associations, étaient prises comme témoin de la marche du 23 novembre qui visait à leur rendre hommage. A l’appel des collectifs Nous Toutes et Nous Aussi, les militant.e.s féministes ont remis le couvert pour pointer l’inaction du gouvernement à travers un cortège fourni, qui a défilé de la place de l’Opéra à Nation.

Parfois là une heure avant le rendez-vous pris à 14h, les différents collectifs se sont mis en place selon une géographie significative : l’Opéra Garnier pour Nous Toutes, les abords d’un Zara pour le féminisme intersectionnel de Nous Aussi, et ses différents blocs. Reconnaissable à son service d’ordre vêtu de gilets roses, les militant.e.s de Nous Aussi chantaient en souvenir de Vanessa Campos, prostituée transsexuelle assassinée en 2018, tout en laissant la tête du cortège aux familles des victimes de féminicides.

 Le cortège s’est élancé peu après 14h, surpris par sa propre densité. Cette marée humaine a favorisé le mélange des différents blocs initialement composés. Pris de court, les gilets roses ne peuvent s’empêcher de sourire. La marche est déjà un succès. Ici, les tambours du bloc Alerta Feminista appellent à un avortement légal, sûr et gratuit pour les femmes d’Amériques latines, là une militante du LesboTruck cherche ses camarades dans la foule. Le cortège Queers Racisé.e.s est obligé d’organiser un nouveau point de ralliement, un peu plus loin sur le boulevard des Italiens. Un beau bordel, quitte à invisibiliser certaines luttes sous la marée violette de Nous Toutes. Si les pancartes faisant la promotion de la sororité sont légions, les militant.e.s queers racisé.e.s craignent qu’il s’agisse d’un mot valise. Le soutien aux femmes voilées notamment, dans le contexte d’islamophobie de ces dernières semaines, ne resurgit que très peu dans le cortège.

 Le mot d’ordre de la marche : Etat coupable, police complice. Les militant.e.s n’attendent clairement rien des annonces gouvernementales, prévues pour le 25 novembre en clôture du Grenelle des violences conjugales. Les accusations fusent, d’Emmanuel Macron à Edouard Philippe en passant par la secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes. Un des slogans phares du mouvement des gilets jaunes est remixé. « Même si Schiappa, ne veut pas, nous on est là ». Ne rien attendre du gouvernement, c’est aussi le message des pancartes « L’armée d’Adèle », une référence à l’actrice Adèle Haenel qui a évoqué son souhait de ne pas passer par la case Justice, ou bien de cette femme qui balance son porc irl.

 Le cortège arrive juste avant 17h sur la place de la République. La statue est rapidement prise d’assaut par des jeunes. Très jeunes. Tout au long de la marche, des lycéen.ne .s  ont battu le pavé aux côtés de femmes plus âgées. « On a atteint le seuil de tolérance 0 pour la nouvelle génération », fait remarquer une dame de 77 ans. Alors que des adolescentes s’époumonent « So-so Solidarité avec les femmes du monde entier », le bloc des afro-féministes atteignent, juste avant la tombée du jour, les abords de la place de la République en criant « Nous sommes ensemble, ou pas du tout !».

 Boulevard Voltaire, le jour s’est éteint mais pas l’ambiance du cortège. Le collectif Du Pain et des Roses (Pan y Rosas) promet bruyamment d’être là le 5 décembre, jour de grève interprofessionnelle pour la protection des systèmes de retraite. Et de rappeler que la précarité touche davantage les femmes, alors qu’un homme joue de la trompette à sa fenêtre en soutien à la marche. Un immeuble plus loin, une femme agite joyeusement un foulard violet sous les applaudissements. Un passage de flambeau.

 18h à Nation, les familles des victimes suivies du collectif Nous Toutes arrivent sur la place. Le collectif annonce le nombre de 100 000 participant.e.s à la marche parisienne et se fait acclamer,  alors que le boulevard Voltaire est encore bondé. La déferlante féministe promise a bien eu lieu. Parmi ceux qui ne font pas partie de la fête, le Strass (Syndicat du Travail Sexuel) ou encore Act Up. Ultra lisse dans ses revendications, le collectif Nous Toutes aura gagné la bataille médiatique grâce à une organisation rodée et une distribution massive de pancartes violettes. Pas sûr néanmoins, qu’il ait gagné la bataille des idées. A la nouvelle génération de prouver que l’intersectionnalité n’est pas qu’un vain mot.

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