« Tu resteras toujours un ami dont le souvenir nourrira l’avenir. Il n’y a pas de meilleur monument à t’offrir que ta vie dans notre esprit. »

Marche blanche pour Oliver TONY, des proches endeuillé-es.

Ce samedi 16 novembre à 12h30 était annoncée une marche blanche pour Oliver Tony au départ de Sevran. Après une semaine de recherches, le corps meurtri de l’adolescent de 17 ans avait été retrouvé à Tours, à plusieurs centaines de kilomètres de sa dernière localisation près de Noisy-le-Sec. Victime d’une barbarie sans nom, sa famille, ses ami•es et de nombreux soutiens ont marché pour lui rendre hommage et appeler au calme.

« Entre temps, on ne savait pas qu’on apprendrait la mort d’Oliver. On a tenu à maintenir la Marche. Ça nous fait plaisir que tout le monde soit là et garde le calme aussi. » souligne l’une des organisatrices et soutien de la famille d’Oliver TONY.
Ce samedi 16 novembre, cette Marche partait du quartier de Rougemont à Sevran (93) d’où était originaire Oliver. C’est une longue marche commémorative, rassemblant plus de 500 personnes le long du canal de l’Ourcq, qui se terminera où Oliver a vécu l’enfer. Beaucoup ont revêtu des t-shirts blancs arborant une photo d’Oliver.


Tout remonte à la nuit du 6 au 7 novembre dernier. Oliver, 17 ans, part avec deux jeunes de Sevran rejoindre d’autres ados de Noisy-le-Sec dans la nuit, ils le passent à tabac, sans merci. Ils seraient 4. L’un d’entre eux ose même filmer ; la vidéo circule ensuite sur le réseau social Snapchat, alertant les ami•es d’Oliver. « Casse toi dans l’eau » souffle l’un des agresseurs dans la vidéo (NOTE BAS DE PAGE : nous avons fait le choix de ne pas la regarder.) avant de repousser le visage tuméfié d’Oliver, presque non identifiable, dans l’eau.
Pendant sept longs jours, les plongeurs de la PJ de Bobigny fouilleront plusieurs fois dans le canal, sans succès. Les ami•es et soutiens pour Oliver, elleux aussi, mènent des recherches, ratiboisent de grandes zones, inspectent chaque parcelle du canal.

L’auteur de l’insoutenable vidéo est vite identifié et écroué pour tentative d’homicide (devenu depuis homicide) et séquestration en bande organisée. Un autre jeune de Sevran est ensuite placé sous contrôle judiciaire. Ces deux adolescents de 17 ans confient avoir sorti Oliver de l’eau après la vidéo. Le mardi 12 novembre, un troisième suspect, majeur lui, se livre à la police. Le quatrième suspect, majeur également, est intercepté au retour d’un vol express en Thaïlande. Le 16 novembre, ils sont placés en détention par le parquet de Bobigny qui les met en examen pour « séquestration avec actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort » et « association de malfaiteurs en vue de commettre un crime ».  
Finalement, le corps de l’enfant est retrouvé à l’arrière d’une voiture à Tours, vêtu uniquement d’un caleçon ; à environ 250 km de là.

« Oliver, vous saviez qu’il était gentil, respectueux. Ce n’était pas un garçon violent »

Si ce n’est des suppositions, des bruits numériques réticulaires, du bouche à oreille ; personne ne sait ce qui a précisément déclenché ce lynchage.
Pourtant, les quelques médias qui ont relayé la disparition et l’assassinat du jeune homme n’ont pas hésité à immédiatement focaliser sur « la drogue » dans cette « bagarre inter-quartiers », comme si une possible criminalité ‘amoindrissait’ – voire parfois pire, ‘expliquait’ - la violence subie par Oliver. Criminalisant presque par ricochet le deuil de la mère d’Oliver. Mais Ismène Tony, la mère d’Oliver, d’une voix fatiguée, tremblante mais déterminée, recadre les choses dès lors qu’elle prend la parole face à la foule, à l’endroit même où son fils a été torturé :
« Bonjour, je vous remercie d’être venu•es aussi nombreux•ses pour rendre hommage à Oliver. Vous saviez qu’il était gentil, respectueux. Ce n’était pas un garçon violent ! Il n’était pas trafiquant de drogue, ce n’était pas un voyou ni un délinquant. » Elle avait eu la force de s’adresser aux agresseurs d’Oliver : « Rendez-moi mon fils, même s’il est mort. »

Une chose est sûre : la violence est d’un degré inouï, inimaginable. Ce, d’autant plus que ce lynchage est filmé et partagé sur les réseaux.
Cette violence ne vient pas de nulle part. On ne nait pas bourreau, elle n’est pas inhérente à ceux qui ont torturé Oliver. C’est une violence dans un climat délétère, où les conditions d’existence sont de plus en plus rudes, brutes, brutales.

C’est une violence reproduite, telle qu’on l’a voit à l’œuvre (et glorifiée) dans certaines fictions (série, cinéma, un certain type de rap).

C’est aussi une violence qui se reproduit: dans la nuit de jeudi à vendredi dernier, un autre jeune homme de 22 ans, originaire de Créteil, était retrouvé, après avoir été tabassé, dans une rue du Kremlin-Bicêtre (94). Il était entre la vie et la mort. Il aurait été enlevé par une bande de 5 hommes qui l’aurait rué de coups. Le 13 novembre, un jeune homme de 19 ans était placé en détention pour tentative de meurtre suite à une violente rixe entre 80 jeunes de quartiers rivaux à Carrières-sous-Poissy ; lui est suspecté d’avoir poignardé un autre jeune homme dans le cou.
Mardi 12 novembre dernier, suite à une autre bagarre, un jeune de 18 ans est hospitalisé et un autre jeune majeur de 20 ans perd la vie après avoir reçu plusieurs coups de couteau. Précisons que cette énumération, loin d’être exhaustive, ne cherche pas à participer à la stigmatisation de ces jeunes , qu’on place aux  rayons faits-divers, et qui n’ont souvent aucun nom dans les médias,  ce qui contribue à les dénuer d’humanité. Elle vient montrer l’ampleur et l’étendue de cette violence qu’il s’agit de stopper, de canaliser, de maîtriser, d’exprimer autrement.

Et surtout, la violence endurée par Oliver aurait mérité plus de réactions publiques ! Ce samedi, quelques médias sont présents… Radio Parleur, France 3, le Parisien, la bonnette de France bleu, celle cachée de BFM Paris…  Bien peu face à la gravité des circonstances de la mort d’Oliver.

Macron a beau joué l’indignation face au film « Les Misérables » maintes fois nominé du réalisateur clichois Ladj Ly ; mais que signifie ce silence, ces absences de réaction face à ce qu’a subi le petit Oliver, victime d’un réel ‘groupe de barbares’ dans la cruauté et la durée du crime enduré.
Si certain•es ont salué une foule nombreuse à la marche blanche ce samedi, d’autres ont déploré encore trop, bien trop d’absences : quelle est le prix de l’indignation ? L’assassinat de cet enfant en vaut-il si peu ? Si peu de mobilisation, de déplacement, de réactions, se demande-t-on.

« Arrêtez les massacres !  Personne ne mérite ça sur terre et aucun parent ne mérite de souffrir ainsi. »

Les visages sont fermés aujourd’hui, emplis d’une tristesse incommensurable, et d’une colère bien sûr. Une colère pour la cruauté infligée à Oliver.  Mais c’est avec une réelle force que ces jeunes, ces ami•es amputé•es d’un être cher ont marché jusqu’au lieu où Oliver a vécu une barbarie sans nom. Une barbarie d’autant plus violente qu’elle est relayée sur les réseaux, qu’iels l’ont vue, qu’ils l’ont vécue avec lui.

Pourtant, une semaine plus tard, ses ami•es parviennent à revenir sur les lieux pour honorer la mémoire de leur frère. Avec de nombreux bouquets de fleurs.

Mme Tony, la mère d’Oliver, est entourée de bras, d’épaules en soutien. Elle trouvera le courage de passer devant toutes les banderoles pour mener la Marche un moment ; derrière elle, s’affiche en grand un « Appel Au Calme », inscrit à la peinture et arboré par des jeunes femmes venues apporter leur soutien à la mère d’Oliver. Au fur et à mesure que s’approche cet endroit du canal, près du décathlon de Noisy le Sec et près de Bondy, les mains se resserrent sur les épaules et des « Courage » sont murmurés.
Face à ce drame ignoble, les parents d’Oliver en deuil ont tout de même la puissance de prévenir une violente vengeance. Le grand frère d’Oliver aura même le courage de sourire lorsqu’il remerciera la foule qui s’est déplacée ce samedi.

Avec une extrême émotion, la voix tremblante, luttant pour se faire entendre, famille, soutiens et ami•es d’Oliver prennent tour à tour le micro pour dire leur amour d’Oliver.
Outre la police judiciaire de Bobigny remerciée plusieurs fois aujourd’hui pour son travail, la mère d’Oliver tient à remercier ses voisin•es: « Ça faisait une semaine que j’étais là, toute seule dans ma souffrance, sans nouvelle de mon enfant. Ce sont les voisins, Bintou, Mariam et tous les autres qui sont venu•es frapper à ma porte et ont fait bouger les choses ! » Elle poursuit ses remerciements : « Merci à tous les ami•es d’Oliver, tous sans exception. J’ai beaucoup de reconnaissance pour vous. C’est long une semaine sans enfant. Merci aussi à tous les copains de Michael [grand frère d’Oliver, NDLR]. C’est très dur pour moi. Vous comptez tous pour moi. Merci. » achève-t-elle, les larmes aux yeux.

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« Il y avait beaucoup de solidarité et de fraternité dans les recherches ; ça se voyait dans l’énergie déployée et les yeux des jeunes »

Face à elle, dans cette foule de plusieurs centaines de personnes, il y a principalement des jeunes et puis, il y a les combattant•es éternel.les : Assa Traoré et le comité La Vérité pour Adama, Samir Elyes du MIB, Mahamadou Camara et le comité pour Gaye, ou encore Amine Medkour, toujours présent dans les luttes. Aujourd’hui, il tient une rose blanche dans la main. Particulièrement touché, il tient à faire passer un message : « Essaie de réfléchir avant d’agir et de penser aux circonstances de la vie ; c’est le plus gros message que je veux faire passer ». Pour lui, « la violence est partout, violences policières et/ou violences inter-quartiers. Tout ça c’est aussi politique, il y a des violences partout, et les jeunes ne sont pas suivis. Il n’y a pas d’aides pour nous dans nos quartiers… » S’il ne connaissait pas particulièrement la famille du petit Oliver Tony, Amine, militant des quartiers populaires qui se définit comme un « humaniste », est lui-aussi originaire de Sevran. « Peu importe de quel quartier. Je connais tous les quartiers de Sevran, j’ai pas envie de les différencier, Sevran c’est Sevran pour moi. Et j’ai toujours trainé au Rougemont. » détaille-t-il dans un soucis d’unification. «  Ce qui nous sépare en vérité, c’est le périph’. J’appelle ça le côté beau et le côté jungle. Et pour combattre toutes ces inégalités, il faut avoir du pouvoir ». Et une volonté politique, elle aussi, abonnée au grands absents.

Très vite, Amine est informé de la disparition d’un petit du quartier. Comme d’autres, il réagit immédiatement et participe à la recherche d’Oliver. Il rencontre Bintou et Mariam, voisines qui organiseront les premières recherches ainsi que la Marche blanche de ce samedi: « Nous nous sommes très vite organisé•es et nous étions vraiment nombreux•ses. Il y avait beaucoup de solidarité et de fraternité dans les recherches ; ça se voyait dans l’énergie déployée et les yeux des jeunes. On s’est dit pour la maman qu’on allait tout faire. » poursuit Amine. Les jeunes arpentent chaque recoin du canal, avec ou en parallèle du travail de la Police Judiciaire de Bobigny.

Les pistes fusent sur les réseaux et rien n’est négligé. Amine fait des live sur sa page Facebook durant les recherches : « c’est important pour informer, sensibiliser sur le fait que sa maman cherchait son fils partout ! Tout simplement ! » Amine insiste : «  J’ai ressenti de la détermination, l’aide entre nous, la solidarité. Et dans les quartiers, les seuls moments qui nous réunissent c’est la mort. Car c’est ce qui ne nous différencie pas. C’est malheureux. On délaisse nos petits frères, on laisse nos jeunes dans la nature et quand un malheur arrive, on se remet en question. Mais il n’y a pas de suivi, d’encadrement sur le long-terme. Pourtant quand il se passe quelque chose c’est marquant : la maman pleure pour son fils mort et l’autre maman, pour son fils en prison. » 


« Oliver était un prince, un ange, toujours le sourire aux lèvres ! » Voilà comment son père le décrit ce samedi. Sur les banderoles, derrière lui, ces mots sont inscrits, comme un surnom : « Beau Sourire ». Le père d’Oliver, lui aussi le visage défait, lui aussi avec le courage de dire un mot face à la foule, s’exclame : « J’aurais aimé que les jeunes arrêtent de se battre, de s’entretuer entre eux. Les parents souffrent violemment tous les jours et la violence continue. Elle continue jusqu’à la mort. Arrêtez les massacres ! Personne ne mérite ça sur terre et aucun parent ne mérite de souffrir ainsi. »

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«  Quand vous vient la colère, maîtrisez vous ! Ne vous laissez pas harasser par les fléaux du monde, soyez là les uns pour les autres. »

Mariam et Bintou rappellent que la famille a besoin de soutien. Qu’il est important de se montrer solidaires. Puis, plusieurs jeunes filles sont invitées à lire la lettre qu’elles ont écrite pour Oliver, cette « personne marquante », « inoubliable ». La lettre s’adresse également à sa famille : « Nous serons toujours là pour vous donner notre amour pour l’éternité » lit la jeune fille.

Puis, une collègue de la mère d’Oliver, infirmière, prend la parole : « J’ai connu Oliver tout petit. Quand sa mère l’appelait pour qu’il amène quelque chose au travail, il venait tout de suite. Quand elle l’appelait parce qu’elle s’inquiétait, il disait ‘je suis là, tout va bien’ ». Elle raconte comme elle est tombée des nues, d’abord révulsée par l’abominable histoire, puis retournée de savoir qu’elle connaissait la victime et sa famille. Elle s’adresse aux jeunes : « Quand vous vient la colère, maîtrisez vous ! Retenez vous ! Parlez ! Mais laissez vos mains vers le bas ! La maman d’Oliver c’est une battante, et elle le restera. La tête haute. Je vous invite à faire de même. Ne vous laissez pas harasser par les fléaux du monde, soyez là les uns pour les autres. »

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« Ce rassemblement, c’est déjà du combat »

Tous ses frères, ses amis, s’avancent ensuite, presque un à un pour former un groupe compact, face à la foule. Un homme portant un long manteau noir, qui filmait toute la Marche, et se présente comme « bâtisseur », déclame ses phrases : « Oliver, tu es et resteras toujours notre petit frère. Aucune bêtise ne donne le droit d’enlever une vie sur terre. (…) Ta vie sera toujours une leçon pour les futures générations. Avec toi, on a multiplié les joies et aujourd’hui, avec tous tes proches, nous divisons les chagrins. Tu resteras toujours leur ami dont le souvenir nourrira leur avenir. Il n’y a pas de meilleur monument à t’offrir que ta vie dans notre esprit. »
Avec courage, ses amis viennent également parler à voix haute : « Oliver c’est notre frère, il restera toujours avec nous, priez pour lui », «Aujourd’hui, nous lui rendons hommage. Sa mort ne lui correspond pas ! Repose en paix mon frère ! ». Un jeune homme, plus âgé, s’avance : « Oliver, moi je l’ai vu grandir ; il n’a jamais manqué de respect à qui que ce soit dans la cité. On est tous responsables de ce qui arrive ! Je t’aime petit frère, repose en paix. » 

Dans la foule, le réalisateur Djigui Diarra est dépité : « . C’est un manque de perspective d’émancipation qui amène à ça ! Ça brise des familles : celle de la victime, celles des agresseurs. La peine est immense. » Et dans un soupir : « La violence inter-quartier c’est un fléau, autant que les violences policières. Moi j’ai failli me perdre là-dedans.. Dieu merci j’ai fait des rencontres ! Faut se souvenir qu’on a tous•tes les mêmes rêves. J’estime qu’on est responsables dans les trucs qu’on consomme, le rap etc, qui ne nous encouragent pas, qui ne sont pas de l’éducation populaire » Pour lui, aujourd’hui doit servir de vecteur de force : « Ce rassemblement, c’est déjà du combat ! »

 

Les fleurs déposées au pied d’un arbre recouvrent le portrait de l’adolescent.

Terminons sur ces mots remarquables, de Michael, le grand frère d’Oliver, lui aussi plein d’une force, qui a pris brièvement la parole pour exprimer sa gratitude: « Cette marche est un appel au calme. Pas à la haine ou à la vengeance. Il faut se calmer dans les quartiers ! Ça fait du bien à ma mère ces soutiens, même si certains ne connaissaient pas Oliver. Vous pouvez passer à la maison avec plaisir, même si vous ne la connaissez pas ! C’est avec plaisir. Merci à tous pour tout. » Et d’inviter tout le monde à partager un repas et poursuivre les discussions, étendre le soutien à la Maison de Quartier du Rougemont

 

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©LaMeute - Jaya.