Justice et Vérité à Lyon

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Suite à un appel posté sur les réseaux sociaux 24h auparavant, 1000 à 2000 personnes se sont rassemblé-es jeudi 2 juin à partir de 19h devant le parvis du Palais de Justice des 24 colonnes, dans le quartier du vieux Lyon. Ce rassemblement était une réponse à celui appelé par Assa Taroé  du Collectif Justice et Vérité pour Adama à Paris à la même heure devant le TGI Porte de Clichy. À 500 mètre au même moment, un rassemblement d’identitaires lyonnais avait lieu.

Au rendez-vous : nasse perpétuelle et violences policières

L’organisation à la dernière minute de ce rendez-vous n’a pas empêché la foule d’être très nombreuse et l’énergie présente particulièrement remarquable. En référence au meurtre de Gorges Floyd et les événements qui l’ont suivi,  les slogans tels que « I can’t breathe » et « Black Lives matters » étaient omniprésent sur les pancartes. Les marques de soutiens au mouvement Justice et Vérité pour Adama Traoré étaient également très nombreuses parmi tous les noms de victimes de violences policières citées.

Si l’on croise les données du collectif Désarmons-Les, Urgence notre police assassine et celles de BastaMag, ce sont 45 personnes qui ont trouvé la mort sous les coups de la police de 2001 à aujourd’hui en région Auvergne-Rhône-Alpes.

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Interdit de filmer…

Une demande d’amendement visant à interdire de filmer des forces de l’ordre a été déposé le 3 décembre 2019 par le par le sénateur LR Jean-Pierre Grand. Bien qu’elle n’ait pas été accordée, elle peux paraître franchement inquiétante dans un contexte global de réduction des libertés individuelles et de fichage généralisé. © Baume

À partir de 19h30-20h, le rassemblement a cherché à continuer sous la forme d’une marche -un élan stoppé immédiatement par les forces de police en place, très nombreuses. Environ une vingtaine de camions de la CRS et la gendarmerie ont encadré le rassemblement, soit un nombre très important par rapport à celui des manifestant-es. La BAC était également au rendez-vous. On peut s’interroger sur les raisons de la présence d’une telle unité sur place, compte-tenu de leur champ d’action désigné : la criminalité. On peut l’interpréter comme un signe de la criminalisation grandissante des manifestant-es qui a lieu ces dernières années.

Le rassemblement s’est transformé en nasse pendant les deux  heures qui ont suivi, les personnes présentes cherchant successivement à quitter le périmètre, les CRS gazant et matraquent systématiquement pour faire reculer la foule. On est en droit de se demander, vu le pacifisme de la foule, si la violence n’aurait pas pu être évitée en laissant simplement les manifestants avancer. Au final, les street-médics sur place rapporteront avoir pris en charge trois situations légères, en plus du traitement des personnes atteintes par les effets des gaz lacrymogènes. Deux arrestations ont eu lieu.

Prise en charge par les street-médics, cette jeune femme a été gazée et molestée par les CRS. Elle souffre également d’une brûlure au pied due à un palet de lacrymogène. © Baume

Prise en charge par les street-médics, cette jeune femme a été gazée et molestée par les CRS. Elle souffre également d’une brûlure au pied due à un palet de lacrymogène. © Baume

À 500 mètre du rassemblement, les identitaires lyonnais prennent la pose

Le lieu désigné pour ce rassemblement est symbolique à plusieurs titres : le Palais de Justice des 24 colonnes, construit au XVIIIe siècle dans un style néo-classique incarne l’idée d’une justice centenaire, détachée du commun des mortels, et d’autant plus s’ils sont racisé-es. Il est également situé dans le quartier  du Vieux Lyon Saint-Jean, historiquement connu pour abriter les locaux de groupuscules d’extrême droites, tels que le GUD (Groupe Union Défense, fondé en 1968, avec une branche lyonnaise reformée en 2011, dissous en 2017, NDLR), Génération Identitaire (fondé en 2005) ou encore le Bastion Social (héritier du GUD, fondé en 2017, dissous en 2019). Les groupes Lyon Populaire et Audace ont émergé de ses cendres et poursuivent leur activité aujourd’hui. Sur l’autre rive de la Saône, à moins d’1km, on trouve également le local de l’Action Française.

Ultra-nationalistes, néo-nazis, suprémacistes, ces groupes mènent des actions racistes violentes dans toute la France depuis des décennies et ont une longue histoire à Lyon. Les sources sont nombreuses à ce sujet, pour les 10 dernières années on citera l’épisode « L’extrême droite à Lyon »  de l’émission Les pieds sur terre, réalisé par Olivier Minot en 2011, ou encore l’article « Lyon, capitale de l'extrême droite la plus radicale » de Jean-Baptiste Mouttet en 2013.

Cartographie de l’extrême droite lyonnaise publiée en 2017 sur le site lahorde.samizdat.net. En rose, le lieu du rassemblement.

Cartographie de l’extrême droite lyonnaise publiée en 2017 sur le site lahorde.samizdat.net. En rose, le lieu du rassemblement.

En juillet dernier, pendant les célébrations associées à la victoire d’Algérie à la Couple d’Afrique des Nation, des agressions racistes avaient été commise par des membres de groupes d’extrême droite. Une dizaine de suspect ont été arrêté en janvier 2020, dont sept mis en examen. Fin février se tenait la soirée d’ouverture d’un nouveau local fasciste dans les Monts du Lyonnais. Un article du Groupe Antifasciste Lyon et Environ, révèle la présence de personnalités investies de longue date dans l’extrême droite, l’interconnexion des groupes fascistes lyonnais autour de cet événement et l’usage de signes suprémacistes sur les photos de groupe du rassemblement. Plus récemment encore, des membres de Génération Identitaire ont mené ce qu’ils appellent des « tournées de sécurisation » dans les transports en commun et le centre-ville. Ils se mettent en scène dans une vidéo postée sur leur site, scandée par les mots « insécurité », « racaille », « islamisation ». Ces éléments de langages nauséabonds sont récurrents dans leurs discours et ne laissent pas de doutes sur leurs intentions racistes.

Le jour du rassemblement, sur le site du groupe local de Génération Identitaire, un article nommé « Rassemblement contre les violences policières : Mobilisation identitaire dans le Vieux-Lyon » est posté. Il est accompagné d’une photo d’une cinquantaine de militants prenant la pose en bas des escaliers de la montée du Change, à 500 mètres à pieds du Palais de Justice des 24 colonnes. L’article se résumé à deux phrases, dont : « Face à la racaille et aux indigénistes qui manifestent en l’honneur d’un délinquant multirécidiviste : Autodéfense ».

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Le siège national de Génération Identitaire est actuellement situé au 5 de la Montée du Change. A deux pas, dans cette même montée, on trouve l’Agogé : un lieu qui se décrit comme « club de boxe identitaire ».

Pendant la manifestation, alors qu’un groupe de personnes avait réussi avancer en direction de l’amont de la Saône, un photographe a été agressé place du Change. Arrivé sur place, il avait remarqué le groupe de personnes au début des escaliers de la montée du Change et avait tenté de les prendre en photo. Un membre de l’escouade fasciste est venu à sa rencontre et d’un coup de poing, avait précipité son appareil photo à terre. Une autre altercation est à signaler : une escarmouche a éclaté après la fin de la manifestation avec un groupe de quatre personnes sur le départ, personne n’a été blessé. Au rassemblement lillois, un individu s’est rendu sur place muni d’un masque où était imprimé des symboles nazis.

La présence de ces groupes fascistes dans le Vieux Lyon est un des arguments fréquemment avancé par la préfecture lyonnaise, cherchant à justifier l’encadrement massif, voire l’annulation de certaines manifestations passant par le Vieux Lyon. Ce fut par exemple le cas de la Marche des Fiertés lyonnaise, qui ne fut pas autoriser à fouler les pavés du quartier de 2010 à 2018. Mais à partir du constat d’un racisme structurel et d’une affinité idéologique avérée avec l’extrême droite au sein des forces de polices françaises, impossible de justifier l’ampleur du dispositif qui a accompagné le rassemblement par ce genre d’argument.

Que les statues tombent

Des tags réalisé avant le rassemblement ornaient le Palais de Justice des 24 colonnes. © Baume

Des tags réalisé avant le rassemblement ornaient le Palais de Justice des 24 colonnes. © Baume

Sur les murs du Palais de Justice, on peut lire des tags contre les violences policières que l’article du journal local Le Progrès dénonce en ces termes : « Des tags hostiles aux forces de l'ordre sont néanmoins à déplorer sur le palais de justice des 24 colonnes ». Ce discours, partagé inlassablement par nombre de personnes pour invalider les revendications du moindre mouvement social, représente une violence symbolique de plus car elle éclipse la gravité immense du problème dénoncé.

Cette situation fait écho à une autre en Martinique : la récente destruction de deux statues de Victor Schoelcher le 22 mai 2020, jour de célébration de la signature du décret abolissant l’esclavage et la traite dans les colonies par ce même homme. Ce n’est pas la première fois que les statues de ce personnage sont vandalisées. En 2013, le visage de l’une d’entre elle était arrachée et l’on pouvait lire à ses côté « La liberté ne se donne pas, elle se prend ».

En même temps que les statues se fracassent, c’est aussi le symbole surplombant du sauveur blanc qui est détruit. La libération des opprimé-es n’est pas le fait de la générosité de ceux qui les oppressent, mais de leur révolte. Elle est leur outil de lutte face à l’injustice, appeler au calme alors qu’elle perdure, c’est reproduire les schémas historiques coupables de l’impérialisme blanc.

La mémoire de ce moment n’appartient pas aux institutions, ni aux monuments officiels.

Au diable les palais de justice immaculés, lorsqu’ils ne sont pas dignes de leurs noms. Ils sont au moins aussi malfaisants que les caïds néo-fascistes.

Une jeune lyonnaise porte un masque pour se protéger du coronavirus. Elle fait face à une ligne de policiers. © Baume

Une jeune lyonnaise porte un masque pour se protéger du coronavirus. Elle fait face à une ligne de policiers. © Baume

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MERCI POUR VOTRE LECTURE

La réalisation de ce reportage a nécessité 2 personnes et environ 10h de travail cumulées.

- Photos : Baume ;

- Texte : Baume ;

- Mise en page : Mes.

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