« Si Génération identitaire gagne, c’est la banalisation qui gagne. Si je perds, on perd tous•tes! »

Alors que le procès intenté par Génération Identitaire, groupuscule d’extrême droite, contre l’élu de Saint-Denis (93), en charge de la discrimination, Madjid Messaoudene (FG), pour « diffamation publique » s’ouvrira ce jeudi 30 janvier, ce dernier appelle la gauche à se mobiliser contre cette énième tentative de banalisation de l’extrême droite. 

Madjid Messaoudene, participant à l’une des manifestations contre la réforme des retraites, le 9 janvier 2020 à Paris. ©LaMeute - Naje

Madjid Messaoudene, participant à l’une des manifestations contre la réforme des retraites, le 9 janvier 2020 à Paris. ©LaMeute - Naje

Tout part de l’absence de réaction immédiate des autorités françaises lors de l’opération de communication du groupuscule d’extrême droite Génération identitaire, en avril 2018, au col de l’Echelle, dans les Hautes-Alpes ; point de passage pour de nombreux•es migrant•es de l’Italie vers la France, qui culmine à plus de 1700 mètres d’altitude. Ce coup de comm’ se basait sur une odieuse chasse à l’homme, une odieuse chasse à l’autre, dans le cadre d’une campagne nommée “DefendEurope” ; la simili-milice, son hélicoptère, ses banderoles, ses vestes bleues qui rappellent celles des gardes frontières, avaient, le temps d’un week-end, envahi la montagne pour pourchasser les personnes exilé•es qui risquent déjà leur vie sur ce point de passage.

Si l’État était intervenu en leur disant que la montagne n’était pas à eux, je n’aurais jamais twitté !
— Madjid Messaoudene, élu de Saint Denis en charge des discriminations

Sur les réseaux, les indignations fusent. Madjid Messaoudene, en charge des discriminations pour la ville de Saint-Denis, y va lui aussi de son tweet le 21 avril 2018 : « pour empêcher une femme migrante d’accoucher y’a du monde. Pour empêcher des nazis de traquer les migrants y’a plus personne mais pas [de] panique #NoussommeslaNationFrancaise »

Mais Génération Identitaire choisit de l’assigner, lui, en justice pour « diffamation et injure publique » ainsi que Thomas Portes, syndicaliste CGT et responsable national du PCF en charge du collectif des cheminots, qui les avaient qualifiés, quant à lui, de “néonazis”.
M. Messaoudene est notifié de cette poursuite il y a environ un an.  « Je n’ai même pas visé nominativement les personnes qui m’assignent en justice dans mon tweet, je ne parle que de nazis» sourit l’élu qui ne regrette rien et a tenu à garder son tweet : « Si l’État était intervenu en leur disant que la montagne n’était pas à eux, je n’aurais jamais twitté ! Jamais de la vie je ne les retirerai ! » s’exclame-t-il ciblant la défaillance de l’État, tant dans son absence de réactivité face à cette opération fasciste et illégale que dans ses politiques migratoires. D’ailleurs, dans son tweet du 21 avril, il évoque cette femme nigériane enceinte, Beauty, décédée en mars 2018 . Atteinte d’un cancer du système lymphatique, Beauty est morte alors qu’elle tentait de rejoindre la France pour terminer sa grossesse avec sa sœur ; elle et son mari avaient été refoulé•es par des gardes-frontières français.

 « Ça, c’est l’État français… » souffle l’élu qui fait également référence à l’expulsion du camp de migrant•es à Porte d'Aubervilliers, pas plus tard que ce mardi 28 janvier, au matin.

Le procès, s’ouvrira ce jeudi 31 janvier 2020 à la 17ème chambre du TGI de Paris. 

« C’est un procès important car il fera jurisprudence ! » souligne Madjid Messaoudene, ce mardi dans un café de Saint Denis. Il fait un parallèle avec le procès intenté par Marine LePen (RN) à Jean-Luc Mélenchon (LFI) pour l’avoir qualifiée de « fasciste » en 2011. Six ans plus tard, en 2017, la Cour de Cassation venait confirmer une troisième fois la relaxe du député : oui, qualifier Marine LePen de fasciste au nom de la liberté d’expression est légal. Il fallait un procès pour acter que cela relève de “l’opinion politique”. 

SILENCE RADIO A GAUCHE

Lorsque Madjid Messaoudene reçoit son assignation à comparaître en justice, il n’a encore entendu parler d’aucune poursuite contre Génération identitaire. Une vague enquête préliminaire a lieu en mai 2018, refermée plus vite qu’elle n’a été ouverte.

Cependant, 
à force de mobilisation et d’indignation civile, les plaintes finissent par tomber. Et en août 2019, trois membres du groupuscule d’extrême droite (Clément Gandelin, Romain Espino et Damien Rieu, de son vrai nom, Damien Lefèvre) sont poursuivis pour avoir  « exercé des activités dans des conditions de nature à créer dans l’esprit du public une confusion avec l’exercice d’une fonction publique » et condamnés à 6 mois de prison ferme, à 2000 euros d’amende et sont privés de leurs droits civiques, civils et familiaux pendant 5 ans (la maximum en matière délictuelle). Génération Identitaire écopait pour sa part de 75 000 euros d’amende.

Ce qui étonne surtout aujourd’hui, c’est l’absence de soutien à gauche. Ce mardi, aux côtés de Madjid se tiennent uniquement Youcef Brakni, militant des quartiers populaires (Bagnolet – 93) et membre du Comité pour Adama ainsi que l’un des adjoint•es au maire, Bally Bagayoko, pour la conférence de presse organisée à deux jours du procès. “Au niveau local, j’ai vraiment eu peu de soutien.” déplore Messaoudene qui condamne également l’absence de réactivité de l’État.

Pour l’élu attaqué, l’immobilisme de la gauche est effrayant. « Localement, j’ai eu de nombreux soutiens de militant•es et d’habitant•es mais je n’ai eu le soutien politique que du groupe Rêves Insoumis auquel j’appartiens, » souffle Madjid Messaoudene avant d’enchaîner : « Pourtant, si ton élu se fait attaquer par l’extrême droite, normalement, t’es derrière, en soutien ! Parce que si on ne dit rien, on laisse entendre que ce n’est pas grave… On ne m’a même pas proposé la protection fonctionnelle alors que je pensais que ça viendrait, vu la gravité des faits. » 

“L’absence de soutien à gauche traduit l’absence de courage politique” tranche, quant à lui, Bagayoko. « Si Génération identitaire gagne, c’est la banalisation qui gagne ! Si je perds, on perds toustes ! » prévient Madjid Messaoudene visant l’entreprise de dédiabolisation du groupuscule. 

C’est aussi ce qu’y perçoit Julien Talpin, sociologue (auteur de l’ouvrage Bâillonner les quartiers populaires : comment le pouvoir réprime les mobilisations populaires à paraître ce jeudi 31 janvier 2020) : “Ce genre de procès vient servir leur stratégie de respectabilité. Ce n’est pas la première fois que Génération identitaire utilisent l’injure publique. De plus, ils n’attaquent pas n’importe qui : Madjid Messaoudene est un acteur nodal, il fait le lien entre la lutte contre l’islamophobie, contre les politiques migratoires et répressives, contre les discriminations et les partis politiques de gauche.” détaille-t-il par téléphone.

Madjid Messaoudene, avec son écharpe tricolore, derrière Youcef Brakni et Taha Bouhafs, lors de la Marche contre l’Islamophobie du 10 novembre 2019 à Paris. ©LaMeute - Naje

Madjid Messaoudene, avec son écharpe tricolore, derrière Youcef Brakni et Taha Bouhafs, lors de la Marche contre l’Islamophobie du 10 novembre 2019 à Paris. ©LaMeute - Naje

Le sociologue tient à différencier deux types d’attaque : il y a d’abord, les attaques qu’il appelle « verticales » qui émanent d’un•e représentant•e de l’institution publique, dans une volonté de faire taire et de nuire à la réputation d’une personne. 
« Quand on poursuit Assa Traoré pour diffamation, par exemple, c’est très problématique. ». Talpin fait référence aux trois plaintes déposées par les gendarmes mis en cause dans la mort d’Adama Traoré à la gendarmerie de Persan-Beaumont (95) en juillet 2016, contre sa grande sœur, Assa.

L’autre type étant l’attaque “latérale”, entre opposant•es politiques, qui demeure l’expression d’un désaccord politique mais devient problématique lorsqu’elle se traduit dans la sphère judiciaire. C’est cette “attaque latérale” qui est à l’œuvre dans la poursuite de Messaoudene : “le recours au droit est un problème dans la mesure où il a vocation à augmenter les coûts de l’engagement de la mobilisation, de l’énergie investie à se défendre, à répondre, etc.” et où, généralement, le but de “faire planer le doute sur une personnalité” est rempli, détaille le sociologue.
Dans les deux cas, les effets sont les mêmes :  “Ça te salit clairement ta réputation…” témoigne Youcef, présent aux côtés de Madjid ce mardi après-midi. Lui aussi a été visé pour une plainte pour injure publique en 2016 émanant d’une élue PS (qui a aujourd’hui rejoint “le camp” de LREM, proche du printemps républicain) de sa ville, Bagnolet . Il résume : “Quel•le militant•e n’a jamais eu de procès pour diffamation ? Mais il faut avoir les moyens pour saisir en diffamation ! Il faut avoir les moyens de censurer un•e opposant•e. Et le pire, c’est que c’est une procédure totalement subjective!” Prenant son cas en exemple, il détaille : “Tu peux gagner en première instance et perdre en appel ! C’est vraiment l’expression d’une justice de classe et de race. Ça dépend vraiment de ce que tu représentes. On va aller examiner ta personnalité publique, etc. Même moi, elle m’a fait douter de moi-même à la fin” conclue-t-il, avec humour.

Le procès en diffamation, un potentiel outil de censure ?

L’agriculteur engagé dans l’aide aux migrant•es, Cédric Herrou, avait également été visé en février 2019 via une plainte pour diffamation et injure publique d’Eric Ciotti (LR) pour ces deux tweets :  « J’ai trouvé le plus gros porc français pour accueillir tout le misérabilisme du monde !! @ECiotti champion du monde !!! »« Quand @ECiotti dit en 2018 "mettons les migrants en Libye" il dirait en 1940 mettons-les dans les chambres à gaz » Ce, alors même que Ciotti (et d’autres) sont souvent qualifiés de “nazis” de “néonazis” par d’autres sur Twitter.

Si le sociologue dit avoir surtout regardé les attaques “verticales” , venant de l’État, il observe que les réseaux sociaux sont désormais le grand terrain d’affrontement: “Les choses sont finalement poreuses. Il y a des attaques horizontales, entre opposants, qui se traduisent par des sanctions verticales de l’État.” Il prend pour exemple la radio associative de Roubaix, PASTEL FM, engagée dans l’antiracisme politique; elle est attaquée par la fachosphère et le Front national sur les réseaux sociaux avant que le président de la région des Hauts de France, Xavier Bertrand, ne décide de couper ses subventions. “Beaucoup de polémiques et d’attaques sont donc initiées sur les réseaux avant de se répercuter dans des décisions publiques.” conclue le sociologue. “Encore aujourd’hui, la ligue de l’enseignement a été attaquée pour avoir une position ambigüe sur la laïcité ; mais cela vient des attaques répétées de la fachosphère et du printemps républicain, ces même attaques qui se traduisent aujourd’hui concrètement dans la bouche de la maire du XXème arrondissement. D’ailleurs, tout ne se passe pas toujours via l’usage du droit. Parfois, il n’y a pas besoin d’aller si loin pour faire naître le doute sur une personnalité…

C’est sûr que c’est fatiguant; ça t’épuise moralement et économiquement.”  atteste Youcef Brakni. Des exemples, le militant des quartiers populaires et membre du Comité pour Adama en a pléthore. Assa Traoré déjà, ou encore Hamé, du groupe LaRumeur, attaqué par Sarkozy alors ministre de l’Intérieur en 2002 pour ces trois extraits de texte :

« Les rapports du ministre de l'Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété »

« La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique "Touche pas à mon pote" »

« La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers c'est avoir plus de chance de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières »

Après huit années de procédures épuisantes (moralement et économiquement, avec un coût d’au moins 20 mille euros au total), le groupe avait gagné

Madjid Messaoudene, qui a d’ores et déjà mis en ligne une cagnotte pour l’aider à pallier à ses frais de justice, espère que la procédure se termine rapidement. Et que le rassemblement de soutien organisé ce jeudi 31 janvier à 12H devant le Palais de Justice de Paris soit conséquent.

[MISE À JOUR du 31/01/2020 : le procès de Madjid Messaoudene face à Génération Identitaire est reporté à septembre 2021… ]

©LaMeute - Jaya

Merci de nous avoir lu.e.s , vous pouvez soutenir notre travail en allant sur le
Tipee LaMeute.

Madjid Messaoudene était présent le 4 janvier 2020 à Sarcelles, pour réclamer Justice et Vérité pour Ibrahima Bah, mort en marge d’un contrôle de police en octobre 2019 à Villiers-le-Bel. ©LaMeute-Naje

Madjid Messaoudene était présent le 4 janvier 2020 à Sarcelles, pour réclamer Justice et Vérité pour Ibrahima Bah, mort en marge d’un contrôle de police en octobre 2019 à Villiers-le-Bel. ©LaMeute-Naje