[BILLET D’HUMEUR] ”La fameuse cérémonie des Césars, ou plutôt la cérémonie de la Honte”

[BILLET D’HUMEUR] Nous partageons ici la publication du collectif La RAFFAL (Regroupement Antifasciste Féministe En Lutte), revenant en détail - et d’un point de vue intersectionnel - sur la cérémonie des Césars du vendredi 28 février dernier. Il a été rédigé par des personnes concernées par les sujets qui y sont traités. Photos du rassemblement et collab. texte : © LaMeute.

Entre nous, les manifestant.es, et ce tapis, il n’y avait qu’un pas, et pourtant, il s’agissait de deux mondes bien différents. L’envie de protester n’en a été que plus forte.


Vendredi 28 février a eu lieu la fameuse Cérémonie des Césars, ou plutôt la Cérémonie de la Honte.
Étonnement, en approchant de la rue du Faubourg Saint Honoré, ce n’était pas le tapis rouge qui a immédiatement sauté aux yeux mais plutôt, collées sur des panneaux, des affiches annotées « Violanski », ainsi qu’une foule de personnes scandant des slogans contre le patriarcat. Étaient majoritairement présent.es des femmes et des minorités de genre, manifestant à côté de ce fameux tapis rouge encadré de barrières. Entre nous, les manifestant.es, et ce tapis, il n’y avait qu’un pas, et pourtant, il s’agissait de deux mondes bien différents. L’envie de protester n’en a été que plus forte.

Les « flics, violeurs, assassins », « siamo tutti anti fascisti » (qui a même été féminisé), « aha anti-patriarcat », « nous sommes fortes, nous sommes fières » ont fusé et ne se comptaient même plus. C’était le sentiment d’une grande solidarité qui nous a animé.es. L’effervescence était tellement palpable que la foule, galvanisée, s’est mise à remonter l’avenue Wagram d’une seule et même voix. Les gen.tes hurlaient à tue-tête, et celleux qui pouvaient attrapaient les premières poubelles, trottinettes électriques et vélos qu’iels trouvaient pour bloquer la circulation, tandis que deux ou trois fumigènes s’allumaient et décoraient le paysage. L’émotion s’est faite ressentir, et le ton a été donné.

Le ton à la fois d’un mécontentement face à la violence sexiste qu’a représenté cette cérémonie, mais aussi le ton d’un oubli : celui de la dimension profondément raciste et classiste de cette soirée. Parce que oui, ce soir-là, un violeur, pedocriminel, a été récompensé au détriment de toutes les victimes de violences sexuelles, et ce avec la complicité de toute la salle applaudissant sans vergogne. Mais doit-on vraiment limiter le problème de cette soirée à « l’affaire Polanski » ? Est-ce vraiment la seule raison pour laquelle nous devions nous battre ce soir-là ? Quid du reste de cette cérémonie violente à tellement d’autres égards, quid du malaise général qui s’est exprimé sous des formes diverses et variées ? Quid, finalement, de l’intersectionnalité ? Car cette soirée n’était pas seulement le lieu d’un sexisme insoutenable, mais aussi celui de nombreuses autres violences. Posons-nous franchement la question, qui était là en soutien à Ladj Ly et toute l’équipe du film ? Quand allons-nous enfin unir nos forces, pointer du doigt les vrais problèmes et les vrai.es ennemi.es, et comprendre que cette cérémonie a cristallisé et représenté de véritables problématiques ?

Le geste d’Adèle Haenel, qui a été remarqué et félicité, n’en reste pas moins révélateur : c’est encore et toujours à la victime de partir, s’éclipser, disparaitre.

« Polanski, César du meilleur réalisateur » La nouvelle tombe comme une sentence. Une sentence pour toutes les victimes qui, encore une fois, doivent supporter que l’on valide leurs bourreaux. Les véritables ennemi.es peuvent donc non seulement s’en sortir en toute impunité, mais même être acclamé.es et congratulé.es pour leur « talent », envers et contre tout ce que cela implique. Une fois de plus, il s’agit bien d’un monde où il en va d’une volonté assumée de « cracher au visage des victimes », pour citer Haenel, qui a par ailleurs pris la décision de quitter la salle. Ce geste, qui a été remarqué et félicité, n’en reste pas moins révélateur : c’est encore et toujours à la victime de partir, s’éclipser, disparaitre. Nous la soutenons bien sûr dans cette épreuve, mais nous souhaitons tout de même rappeler qu’elle n’a sans doute pris aucun plaisir à quitter la salle. Pas sûr qu’elle l’ait fait par fierté, pour l’honneur ou pour le buzz. Ce que nous voyons plutôt, et que nous trouvons malheureux, c’est qu’elle a été poussée vers la sortie. Son geste est certes devenu politique en ce qu’il signifie pour les victimes, mais l’intention n’était pas de se mettre en avant. Il n’est pas « incroyable ». Il est triste. Il est triste parce que s’il y a bien quelqu’un.e qui n’avait pas à partir et qui avait toute sa place en ce lieu, c’était elle. Elle mais pas que.

D’autres avaient leur place et ont pourtant été invisibilisé.es. On pense notamment à Aïssa Maïga, dont le discours a fait l’objet d’un accueil glacial. Celle-ci est également partie au moment de l’annonce de la victoire de Polanski, et contrairement au départ d’Adèle Haenel, le sien n’a quasiment pas été relevé. Cette invisibilisation, ainsi que le mépris de son discours, révèlent tout le racisme dont a été teinté la soirée. Or non, le discours d’Aïssa Maïga ne représente pas un « malaise », c’est tout le reste de la cérémonie qui s’est avéré en être un. Son discours était en vérité l’un des rares moments de la cérémonie qui avait un sens et pourtant, c’est à ce moment-là que la salle a été plus qu’hostile, car cette dernière ne représente que trop bien cette société raciste, méprisante et violente dans laquelle nous vivons.

La Cérémonie des Césars est faite par les blanc.hes et pour les blanc.hes, et nous continuons à en faire le jeu en ne donnant de l’importance qu’à ce que nous voulons bien.

L’autre grande invisibilisation de la soirée est celle de la victoire de Ladj Ly qui, pour Les Misérables, a reçu le prix du meilleur film. On nous dira que le manque d’attention apportée à cette victoire s’explique par la malencontreuse chronologie de la soirée, le meilleur film étant récompensé juste après le meilleur réalisateur ; cette explication n’est pas satisfaisante. Quand allons-nous arrêter de faire semblant, quand allons-nous nous attaquer au réel problème ? La Cérémonie des Césars est faite par les blanc.hes et pour les blanc.hes, et nous continuons à en faire le jeu en ne donnant de l’importance qu’à ce que nous voulons bien. Comment même avons-nous pu laisser mettre sur le même plan ces deux films, ces deux équipes et ces deux hommes ?

Par ailleurs, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec les décisions prises pour les Victoires de la musique 2020. En effet, comme le souligne Binetou Sylla dans Kiffe ta race, cinq catégories sont supprimées dont « Musique urbaine », « Rap » et « Musique du monde ». Cette décision est justifiée par un discours qui promeut une plus grande représentativité et une inclusion de ces genres musicaux dans des catégories dites plus classiques, moins spécifiques. Mais là encore, il s’agit d’invisibiliser certaines catégories. Qu’en est-il des rappeurs comme Ninho par exemple, qui n'a même pas été nommé, alors même qu’il a actuellement énormément de succès ? Ou, plus frappant encore, la chanteuse Aya Nakamura, qui n’a même pas été nommée dans la catégorie « artiste féminine » ? C’est là où réside le malaise. Nous apportons tout notre soutien aux artistes invisibilisé.es par le fait même de l’organisation des victoires, elles aussi, honteuses. Il serait temps de voir la vérité en face.

Car en définitive, derrière cette éclipse totale qui frappe Ladj Ly et Les Misérables, c'est encore et toujours la question du droit à l'existence des corps racisés dans l'espace et dans la société qui se pose avec violence. Avec une violence symbolique implacable, qui n'est pas sans rappeler l'invisibilisation de la mémoire des révoltes de 2005 dans les quartiers populaires - toile de fond du film - que personne, à aucun moment de la cérémonie, n'a d'ailleurs jugé bon d'évoquer.

En somme, la Cérémonie des Césars est depuis toujours problématique. Il s’agit en vérité d’une soirée où le gratin de l’industrie du cinéma se réunit pour se remettre des prix et se féliciter, entre elleux, d’être ce qu’iels sont : une petite élite chic et cultivée… Cette cérémonie est donc bien le symbole d’une bourgeoisie artistique et culturelle ultra méprisante qui, en se réunissant pour parler art et cinéma comme s’il s’agissait des deux piliers fondamentaux de nos vies à toustes et de notre société, ne font qu’affirmer l’existence du faussé qui nous éloigne d’elleux. En effet, la plupart des gen.tes ne se retrouvent pas dans cette soirée, dans ces discours prononcés en l’honneur du cinéma. En réalité, peu de monde s’y intéresse et regarde cette réunion des grand.es de la culture et de l’art, qui, rappelons-le, en plus d’être le symbole d’une culture bourgeoise, est diffusée sur Canal +, chaîne très populaire, comme tout le monde le sait.

Ce constat nous laisse un goût amer, tout comme la fin du rassemblement car, sans surprise, la ferveur est retombée, et c’est bien humilié.es que nous nous sommes couché.es ce soir-là à l’idée qu’une fois de plus, nous ne sommes pas entendu.es, et arriverons encore moins à corrompre une cérémonie bien trop orthodoxe.

La puissance de celleux qui font et décident des récompenses nous ont rattrapé.es, comme tout le reste au quotidien.

Parce que nous ne pouvons plus accepter les discours consensuels inlassablement applaudis et considérés comme subversifs, tandis que les autres, les plus cinglants et les plus justes, ne retiennent même pas l’attention voire dérangent ; mais aussi parce que la nouvelle terrassante d’une récompense - la plus significative - attribuée à Polanski ne peut que nourrir notre haine et notre détermination, à l’image de vendredi soir dernier, nous sommes et resterons là, et plus que jamais nous sommes prête.es à nous mobiliser avec ardeur les 7 et 8 mars.