GRÈVES DU 18 OCTOBRE : SAISIR L’INSTANT, SÉVIR LE MOUVEMENT

De toute évidence, ce ne fut pas la grève générale que les syndicats espéraient (du moins aimerait-on croire qu’ils l’espéraient…). Il y avait certes des dizaines de milliers de personnes à Paris répondant à l’appel de la grève interprofessionnelle de plusieurs centrales syndicales, et plus d’une centaine de milliers dans tout le pays, mais cela n’a pas suffi à paralyser efficacement l’économie pour impacter les décisions du gouvernement. Et honnêtement, il fallait s’y attendre. Cependant, au vu du contexte politique et social très tendu dans toutes les strates de la société française, il faut aussi s’attendre à ce que ce mouvement s’étende et s’amplifie dans les jours à venir, et c’est de cela dont il faut que l’on discute. 

Reportage et pistes de réflexion.

Doucement, réveiller le volcan


Le mois d’octobre a commencé dans un bouillonnement politique propice à l’agitation sociale, et plusieurs fronts se sont ouverts, tant au niveau partisan que syndical. 

D’un côté, la guerre en Ukraine servant de prétexte à une flambée généralisée des prix (due en réalité à la spéculation d’une fraction qui se gave), le gouvernement a choisi de faire du vote annuel sur le budget à l’Assemblée le fer de lance de sa bataille idéologique. Face à l’appauvrissement massif des travailleur-euses du fait de l’inflation à 10%, le gouvernement n'a rien trouvé de mieux à faire que de relancer, par exemple, le non-débat sur sa maudite réforme des retraites dont personne ne veut. Macron menaçant dans la foulée de recourir au 49-3, et à la dissolution de l’Assemblée en cas de motion de censure… 

Dans ce contexte de tension parlementaire, la NUPES avait appelé à converger à Paris le dimanche 16 octobre contre la vie chère et l’inaction climatique. Une réussite, puisqu’une centaine de milliers de personnes auraient déferlé dans les avenues parisiennes entre la Nation et la Bastille.

Dans le même temps, les ouvrier-es des raffineries du groupe TotalEnergies ont entamé une grève courageuse lorsque l’on a appris que le PDG du groupe s’était auto-augmenté de 52% (portant son salaire à plus de 9 millions par an). Une augmentation qui survient alors même que la question de la taxation des superprofits réalisés par les profiteurs de guerre, dont les actionnaires de la pétrochimie, est devenu un débat national, et que les employé-es à la base de la chaîne de production n’ont pas vu leur salaire évoluer. 

Les salarié-es en grève de chez Total ont vite été suivi-es par celles du groupe Exxon, causant rapidement des ruptures de carburant dans le pays, et mettant le gouvernement dans une difficulté supplémentaire à celle dans laquelle il se trouvait au Parlement. Elisabeth Borne, Première ministre, ordonna donc aux préfets de réquisitionner les travailleur-euses en grève pour enrayer la pénurie, ce qui provoqua la colère de plusieurs centrales syndicales. Le volcan était réveillé : Philippe Martinez, qu’on aurait cru mort tant son silence était assourdissant, appela à la grève générale pour le mardi 18 octobre.

Une unité assez rare dans la rue

Syndicalistes, étudiant-es, lycéen-nes, retraité-es et Gilets Jaunes se sont donc élancé-es à 14h depuis la Place d’Italie en direction des Invalides. Un parcours classique pour les connaisseur-es, que les syndicats ne déposent que pour les grandes occasions. En remontant la manif depuis la fin, les cortèges syndicaux laissaient place au plus bruyant, au plus motivé : le cortège des cheminot-es entré-es en lutte le matin-même. On retrouvait tout à l’avant des cortèges syndicaux le classique carré de tête avec les VIP des centrales, protégé par l’habituel service d’ordre (SO dont nous reparlons -en bien pour une fois- un peu plus loin).

Une fois ces cortèges passés, le plus gros de la manif défilait sans étiquette, si ce n’est portant un gilet fluorescent ou un k-way noir. Arrivé à hauteur de Denfert-Rochereau, ce cortège de tête se retrouva nez à nez avec des gendarmes mobiles et des compagnies d’intervention bloquant le passage. Le ton de la provocation était donné, alors que tout s’était jusque là passé dans le calme. Les syndicats approchant, forçant le pas, les colonnes de flics furent obligées de libérer le passage, mais les esprits étaient déjà échauffés. On approchait de Raspail lorsque les provocations tournèrent à l’affrontement. Du matériel de chantier fut utilisé pour se séparer et se protéger de la police, qui attaqua formellement afin de dissuader tout le monde. Réponse immédiate des manifestant-es, dont la colère de la situation politique était déjà suffisante : tout ce qui tombait sous la main atterrissait sur les casques ou les boucliers de la police, la forçant à reculer dans les rues adjacentes. On continua dans ce schéma d’attaque et de riposte, parfois avec des incursions de la BRAV-M dans le cortège, jusqu’à arriver à hauteur de Montparnasse. On notera que, se baladant esseulé au milieu de la foule sur la place du 18 juin 1940, « Tomi le corse », officier de police dont on ne compte plus les exactions, fut pris à parti par les manifestant-es. Un peu de justice populaire, somme toute.

A hauteur de Duroc, une luxueuse concession BMW fut prise d’assaut par le cortège, qui se servit volontiers dans la boutique avant que la BRAV-M ne repousse tout le monde.

C’est à ce moment-là que, las, le SO des syndicats se mit en face de la police, protégeant de fait l’ensemble des manifestant-es. Cette scène, rarissime, louable, sera lourdement punie par les CRS qui, devant la porte du ministère des outre-mers, à quelques centaines de mètres de la fin, fonça sur le SO et matraqua gratuitement dans le tas, parfois au visage.

La manifestation se termina derrière l’hôtel des Invalides dans un calme général. 



Tout ça c’est très bien, mais maintenant ?

Et bien maintenant, à vrai dire, on ne sait pas… Certes, la grève continue dans les raffineries, se propage aux centrales nucléaires, et certaines gares mobilisées ont également reconduit la grève. Mais à part la date anniversaire des Gilets Jaunes le 17 novembre prochain, aucun appel pour quelque journée de mobilisation que ce soit n’a pour l’instant encore été formulé. Rien.

Et pourtant l’on sait que le gouvernement a engagé sa responsabilité à travers le 49-3, et qu’il ne s’agit que d’une question d’heures avant que les motions de censures de l’opposition ne soient soumises au vote.

Nous sommes dans un moment suffisamment rare pour que ce soit un devoir de le saisir. Un de ces moments où, des semaines durant, nous avons vu s’abattre des frontières qui semblaient immuables entre des factions politiques maintenues séparées par des calculs de pouvoir, tandis que tout le monde leur demandait l’unité. Ce que la NUPES et ses partis ont commencé lors des législatives a duré, contrairement à ce que beaucoup pensaient, et s’est même confirmé lors de la marche de dimanche. La gauche a besoin d’unité, elle s’est faite sur la plan partisan, mais elle ne peut être efficace que si elle est portée par la rue.

Et dans ce sens, les dirigeant-es des centrales syndicales ont une responsabilité historique à mettre leurs égos de côté, afin d’écouter la nécessité d’unité exprimée par la base. On ne peut pas indéfiniment faire grève secteur par secteur, l’un le mardi, l’autre le jeudi, et le dernier le vendredi. Les travailleur-euses doivent faire grève ensemble, une bonne fois pour toutes, soutenu-es par l’action politique des partis institutionnels. Mais rien de tout cela ne sera possible tant que des Philippe Martinez continueront de se regarder le nombril.

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La réalisation de ce reportage a nécessité 4 personnes et environ 2 jours de travail.

- Photos : Corto, Graine, Jeanne Actu, Tulyppe

- Texte : Graine

- Relecture : Corto, Tulyppe

- Mise en page : Graine, Tulyppe